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ne connaissait aucune des formules économiques que la révolution de 1848 devait un jour mettre en circulation pour son usage. La crise le saisissait beaucoup plus sain d’esprit, mais aussi bien plus énergique de cœur. Il ne savait en ce temps-là qu’une chose, la seule d’ailleurs qui lui eût été enseignée : c’est que la France vivait depuis Waterloo dans une paix humiliante ; il ne demandait au gouvernement qu’il avait fait que de rouvrir devant lui la carrière des batailles pour y recommencer ces merveilleuses fortunes dont les épiques récits défrayaient les ateliers et les chaumières. La guerre extérieure était donc pour le parti démocratique le dernier mot de la révolution de juillet.

Dans la paix se résumaient, au contraire, tous les besoins de la bourgeoisie, encore que, par l’effet de déplorables habitudes, son langage ne fût pas toujours sur ce point en parfait accord avec ses vœux, et qu’il y eût une contradiction sensible entre ses allures menaçantes et ses désirs plus que modestes. Les classes lettrées voyaient fort bien que la première conséquence de la guerre aurait été l’organisation d’un régime militaire incompatible dans son esprit et dans sa forme avec les institutions politiques dont elles venaient de revendiquer si vivement l’intégrité. Les capitalistes n’ignoraient pas davantage que la guerre aurait porté un coup mortel aux intérêts industriels et financiers, auxquels le gouvernement de la restauration avait donné un vaste développement. Si la guerre était heureuse, la nation revenait au système de conquêtes ; si ses débuts étaient signalés par des revers, la méfiance publique emporterait le pouvoir ; un recours aux passions révolutionnaires était inévitable, et c’en était fait dans tous les cas du gouvernement constitutionnel et de la prépondérance politique de l’intelligence et du talent. Sous le coup des événemens de 1830, entre l’insurrection de septembre à Bruxelles et celle de novembre à Varsovie, au moment où le carbonarisme soulevait la Romagne et où la démagogie allemande évoquait sur les collines de Hombach le nom de Sand et l’ombre d’Arminius, la guerre entreprise pour déchirer les traités en vertu d’un droit supérieur aux conventions écrites, ce n’était rien moins qu’une lutte furieuse contre tous les gouvernemens soutenue par un appel désespéré à toutes les vengeances et à toutes les cupidités, c’était un champ de bataille vaste comme le monde, ardent comme une fournaise, où la France fût descendue pour mettre son or et son sang au service de toutes les folies écloses au-delà du Rhin et des Alpes, dans l’ivresse des ventes et des tabagies. Les sympathies qui, dans une partie notable de l’Europe, accueillirent l’érection de la monarchie nouvelle auraient partout manqué à ce gouvernement, s’il s’était proclamé solidaire de toutes les agitations extérieures, ou s’il avait paru cacher des ambitions