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régulier des cabinets. Si, en prodiguant son noble sang, elle avait su limiter ses espérances dans la sphère des choses possibles, si, échappant, comme le voulaient ses plus illustres citoyens, à la pression des sociétés secrètes, elle eût réclamé la sérieuse exécution des dispositions diplomatiques par lesquelles le bénéfice d’un gouvernement national et distinct lui était garanti, la France, qui subissait les traités de Vienne dans leurs stipulations les plus onéreuses, n’aurait pu se refuser à en réclamer l’accomplissement littéral. Sous le coup des premiers succès de la Pologne, une telle négociation aurait été d’autant moins impossible, que l’Angleterre aurait puisé le même droit dans les traités, et que cette puissance eût été stimulée dans ses réclamations contre la Russie par une rivalité plus vive encore que la nôtre. Les sympathies universelles de l’Allemagne, très prononcées, après 1830, en faveur de la Pologne, auraient d’ailleurs servi d’une manière très efficace en ce moment la sainte cause du bon droit et du malheur. L’insurrection polonaise, dans les limites où voulait la maintenir Chlopicki et où la diète elle-même paraissait d’abord désirer la circonscrire, était en mesure de susciter dans l’opinion européenne un mouvement assez puissant pour devenir irrésistible. En isolant, dans cette question, la Russie de la Prusse et de l’Autriche et en ménageant surtout l’honneur dynastique de la famille impériale, ce pays était alors en mesure d’imposer le patronage de sa révolution aux deux grands gouvernemens constitutionnels avec plus d’autorité et probablement avec moins de périls que la Belgique elle-même ; mais, après la déchéance de la maison de Romanoff, accordée aux clameurs de la démagogie beaucoup plus qu’à l’intérêt national, aucune intervention régulière n’était désormais possible : il fallait s’engager dans une lutte à mort contre le système européen tout entier, et, pour donner une chance incertaine à la Pologne, courir le risque certain de transformer la monarchie constitutionnelle de 1830 en une démocratie militaire. Cette monarchie devait vouloir la paix, par l’excellente raison que tous ses ennemis voulaient la guerre. Pour peu qu’on étudie en effet les griefs accumulés par l’école républicaine contre le gouvernement de 1830, on verra qu’ils se réduisent presque toujours à reprocher à ce gouvernement de n’avoir point fait ce que cette école aurait estimé très profitable pour elle-même[1].

La question italienne, mille fois plus délicate, devait être résolue par des considérations plus complexes. Les traités de Vienne avaient fondé l’état politique de la péninsule sur une sorte d’équilibre d’influence

  1. Voyez l’Histoire de dix ans, par M. Louis Blanc, et l’Histoire de huit ans, par M. Elias Regnault.