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la paix de l’âme au triste vieillard. Gertrude rentra donc comme le pardon avec son fils Maurice dans la maison de son père. Edgar voulut se marier et craignit de blesser par son choix les vieilles préventions de M. Lifford. Ce fut Gertrude qui demanda le consentement de son père. M. Lifford lui montra le portrait de sa mère et le sien à elle. « Vous parlez à un homme dont l’orgueil a fait leur misère, lui dit-il. Edgar croit-il que j’adore encore les idoles qui les ont détruites ? » Gertrude se jeta à son cou pour le remercier ; mais M. Lifford la repoussa un instant avec un regard d’inquiétude et de défiance. « Croyez-vous que je ne sois pas heureuse ? » lui dit-elle avec un de ces sourires persuasifs, expression d’une paix intérieure que le monde ne peut ni donner ni retirer. Alors il la pressa sur son cœur et la bénit. « Depuis ce temps, il y eut des fleurs dans les jardins et du bonheur dans le vieux château de Lifford-Grange. »


III

J’ai peu d’observations à faire sur ces deux ouvrages. Analyser des romans, c’est presque s’enlever le droit de les juger. Quand on résume des volumes en quelques pages, quand on remplace l’action qui se déroule avec ses gradations naturelles par une analyse qui efface ce qu’on pourrait appeler le modelé de l’œuvre, et n’en rend tout au plus qu’un trait sec et cru, on aurait mauvaise grâce à signaler des défauts que l’on a soi-même nécessairement aggravés. L’abréviateur doit des excuses à l’auteur, car c’est surtout lui qui court le danger d’être plus traditore que traduttore.

Seulement, s’il y a une préférence à exprimer entre le roman de lady Fullerton et celui de Currer Bell, je n’hésite pas. Il a fallu peut-être plus de vigueur de talent pour écrire un roman comme Villette que pour composer Lady-Bird. L’avantage reste pourtant à lady Fullerton. Le sujet de Villette est terne et froid ; l’action de Lady-Bird est émouvante, ou du moins lady Fullerton a dans le style une chaleur pénétrante qui se communique au sujet du récit, en redouble l’intérêt, et gagne la sympathie du lecteur. Quoique Currer Bell veuille ennoblir, en les amenant sous le jour de l’imagination, les incidens vulgaires des existences médiocres, son livre n’a guère chance d’intéresser la classe même à laquelle il est consacré ; il n’y a que les lecteurs cultivés, les malins, qui prendront la peine d’étudier et d’apprécier le talent dépensé dans les détails de Villette. Le roman de lady Fullerton a sur celui de Currer Bell une supériorité décisive pour les ouvrages de ce genre : il est plus attachant.

Mais ce qui donne une valeur très haute à ces romans, c’est leur