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Le second phénomène que j’ai dessein, non plus seulement de constater, mais d’approfondir, c’est ce besoin impérieux qui se manifeste surtout dans les âmes éprouvées par les mécomptes de la vie, — le besoin de trouver au-delà du monde visible l’objet d’une adoration sans trouble et d’un amour sans illusion, d’y chercher le secret de la destinée humaine, ou tout au moins de donner quelque pâture à l’imagination, saisie de curiosité et d’effroi en face des mystères de la mort. Qui ne connaît de telles inquiétudes ? Elles se rencontrent dans les hommes de tous les temps, parce qu’elles sont la vie même de l’humanité ; mais le sentiment qu’elles produisent a pris de nos jours un développement si puissant, qu’il n’y a pas un philosophe, pas un homme d’état, pas une tête pensante, qui n’en ait fait le sujet de ses réflexions. Ce phénomène social a pris un nom : il s’appelle la renaissance religieuse.

S’il s’agissait ici d’un accident fugitif, d’une de ces fièvres ardentes et passagères, trop communes en notre mobile pays, il n’y aurait pas à s’en préoccuper ; mais non, le mouvement religieux n’est pas un événement d’hier : il ne date pas de la fin du dernier règne, il ne date pas de la restauration, il ne date même pas du concordat. Quand les mains du premier consul entreprirent de relever l’autel, il s’était déjà relevé tout seul dans le cœur des peuples, et du jour où la France put faire entendre une voix que la terreur avait glacée, elle invoqua Dieu.

Nous savons ce qu’on peut objecter ; nous ne perdons pas de vue les oppositions que la foi renaissante a soulevées et les intermittences qu’elle a subies. L’empire, d’abord si favorable à l’influence religieuse et tant caressé par elle, finit par la traiter assez rudement, et après les ivresses et les folies des ultramontains de la restauration, un retour d’opinion très énergique parut envelopper la religion même dans le décri de quelques-uns de ses ministres ; mais que signifient ces temps d’arrêt et ces déviations apparentes ? Il en est du mouvement religieux de la société nouvelle comme de son mouvement démocratique. Quand vous voyez un fait se produire au sein d’une grande société, durer tandis que tout passe, croître alors que tout décline, survivre à dix révolutions politiques, tour à tour favorisé ou combattu par le gouvernement et les partis, mais toujours debout, et après les tempêtes les plus formidables reparaissant avec une puissance, une sève et une vitalité nouvelles, — tenez pour certain qu’un tel fait a sa cause plus haut que la volonté de l’homme, et qu’en nier la portée, c’est nier une loi du monde moral et s’inscrire en faux contre un arrêt de la Providence.

Nous aurions moins de peine à comprendre l’aveuglement de certains esprits, si le mouvement religieux était concentré dans les limites