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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1147

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Nous avons en France l’équivalent de l’Irlande dans nos cinq ou six millions de petites exploitations au-dessous de 7 ou 8 hectares, mais nous avons en même temps l’équivalent de la Grande-Bretagne dans les quatre ou cinq cent mille qui ont une étendue moyenne de 50 à 60. Les fermes de plusieurs centaines d’hectares ne sont pas chez nous tout à fait sans exemple ; on en trouve notamment dans les environs de Paris qui présentent le plus beau et le plus complet spécimen de la grande culture. Il ne nous manque que ces fermes immenses peu nombreuses en Angleterre, qui ne se rencontrent que dans les parties les plus stériles, comme les déserts de la Haute-Ecosse ou les plateaux crayeux du sud, uniquement bons à servir de pâturages à moutons. Ce n’est donc pas précisément par l’étendue des fermes que la culture anglaise l’emporte sur la nôtre. Le rapprochement est même plus grand sous ce rapport que sous celui de la propriété. La véritable supériorité de cette constitution agricole, au moins pour la Grande-Bretagne, car l’Irlande demande à être examinée à part, se manifeste par deux signes principaux : 1° l’usage à peu près universel du bail à ferme, qui fait de l’agriculture une industrie spéciale ; 2° la quantité de capital que possèdent les fermiers et qu’ils ne craignent pas d’engager dans la culture.

Les avantages du bail à ferme sur les autres modes d’exploitation du sol, et en particulier sur le métayage, se font sentir dans les parties de la France où il est usité. C’est le grand principe de la division du travail appliqué à l’agriculture. Une classe particulière d’hommes voués de bonne heure au métier des champs, y consacrant leur vie entière, se forme par-là. Ces hommes ne sont pas précisément des ouvriers ; ils sont plus aisés, plus éclairés, et ils portent le poids d’une responsabilité plus grande. Pour eux, la culture est une profession, avec toutes les chances de perte et de gain, et si les chances de perte sont suffisantes pour tenir leur attention éveillée, les chances de gain suffisent aussi pour exciter leur émulation. L’Angleterre est pleine de fortunes faites dans la culture ; ces exemples font de cette carrière une des plus recherchées pour le profit en même temps qu’elle est une des plus agréables, des plus honorées, des plus saines pour l’esprit et pour le corps.

Les partisans exclusifs de la grande propriété ont prétendu que c’était elle qui était la cause déterminante du bail à ferme ; c’est une erreur. Le bail à ferme ne se trouve pas partout où est la grande propriété, et il se rencontre où elle n’est pas. En Russie, en Espagne, en Hongrie, il y a de grands propriétaires qui ont des métayers, des paysans de corvée, et point de fermiers ; en France, dans les départemens qui avoisinent Paris, c’est la propriété moyenne qui domine, et il y a des fermiers. Le bail à ferme se concilie plus aisément avec la grande propriété qu’avec toute autre, mais il est possible