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s’étaient depuis plusieurs années établis sur leurs domaines, et la plupart d’entre eux s’occupaient déjà d’agriculture. Ils élevaient en grand nombre des chevaux et du bétail ; multum agriculturœ deditus, dit la vieille chronique en parlant de l’un d’eux, ac injumentorum et pecorum midiitudine plurimùm delectatus. Le travail ordonné par le roi avait pour but, non-seulement de recueillir les noms des possesseurs, mais de faire connaître avec détail le nombre des mesures de terre ou hydes, comme on les appelait alors, la quantité des animaux domestiques et des charrues, etc. L’enquête dura six ans, et constata un développement agricole assez avancé. Elle comprit tous les pays véritablement soumis à la domination normande, c’est-à-dire l’Angleterre entière jusqu’au-delà d’York. Les montagnes du Northumberland furent seules exceptées.

Toute l’histoire d’Angleterre au moyen âge est remplie des luttes des barons pour s’assurer la possession de leurs terres, contestée par la couronne. Une première fois, en 1101, ils obtiennent de Henri Ier un édit ainsi conçu : « Je concède en don propre à tous les chevaliers qui se défendent parle casque et l’épée la possession sans redevances des terres cultivées par leurs charrues seigneuriales, afin qu’ils se munissent d’armes et de chevaux pour notre service et la défense du royaume. » Un siècle après, en 1215, ils profitent de la faiblesse du roi Jean pour lui arracher la grande charte, qui confirme leur droit de propriété et leur donne le moyen de le défendre dans des assemblées souveraines. Forcés de s’appuyer, pour vaincre la résistance des rois, sur la population tout entière, ils avaient dû stipuler en même temps quelques droits en faveur des communes, et c’est ainsi que l’origine de la liberté politique s’est confondue en Angleterre avec la consécration de la propriété féodale.

Depuis le roi Jean jusqu’à nos jours, c’est toujours dans les campagnes que se trouve la nation véritable, la nation armée ; les villes ne sont rien. Les rois eux-mêmes, cédant à l’esprit national, cherchent moins qu’ailleurs à diminuer la puissance des seigneurs féodaux. Quand Henri VIII supprime les couvens, il se croit obligé, malgré l’autorité absolue dont il jouit, de distribuer entre les nobles une partie des dépouilles des moines. C’est de là que tirent leur origine les immenses propriétés de quelques maisons. Quand sa fille Elisabeth voit les mêmes nobles sortir de leurs châteaux pour affluer à sa cour, elle les engage elle-même à revenir dans leurs terres, où ils auront plus d’importance : « Voyez, leur dit-elle, ces vaisseaux accumulés dans le port de Londres ; ils y sont sans majesté, sans utilité, les voiles abattues et les flancs vides, confondus et pressés les uns contre les autres ; supposez qu’ils enflent leurs voiles pour se disperser sur l’immensité des mers, chacun d’eux sera libre, puissant et superbe. » Comparaison pittoresque et vraie, mais que