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fluence sur l’esprit de l’apprenti, tout en reconnaissant bien que cette influence avait un peu diminué, particulièrement depuis l’époque où le retour de Lazare avait été annoncé dans la maison de Montigny, Adeline se tranquillisa encore de cet autre côté. Elle pensa qu’elle n’en aurait point pour longtemps à reconquérir le terrain perdu dans la confiance de Zéphyr, et ne douta point qu’elle parviendrait mieux que personne, et avant personne, à voir clair dans la pensée de Zéphyr, à tirer de lui tout ce qu’elle en voulait savoir. Ce fut dans cette disposition, le souper étant achevé, que la fille du sabotier se retira après avoir embrassé son père et souhaité le bonsoir au pensionnaire.

Comme elle était déjà sur le seuil de la porte, Lazare se retourna de son côté en faisant pirouetter son tabouret.

— À propos, mignonne Adeline, lui demanda l’artiste avec l’accent d’une curiosité sincère, qu’est-ce que vous avez donc trouvé dans la bourse de Zéphyr ? En voilà un gaillard égoïste, qui va se noyer avec son trésor pour ne pas faire d’héritiers ! ajouta Lazare en riant.

À cette question, dont elle ne pouvait comprendre le motif, Adeline resta un moment interdite.

— Une bourse ! intervint le bonhomme Protat ; comment ! Zéphyr a de l’argent, et il allait se noyer avec !

— Comme le vieil avare du Déluge de Girodet, continua l’artiste.

— Qu’est-ce que vous me dites là ? reprit le bonhomme, revenu à son état normal. Où diable Zéphyr a-t-il pris cet argent ? Il ne l’avait pas gagné pour sûr, il est trop fainéant, le petit gredin !

— Rassurez-vous, dit Lazare, c’était de la monnaie de sauvage, de petits cailloux du Loing, qu’il s’amuse à ramasser quand ils sont d’une jolie couleur et d’une forme bizarre. C’est une manie qu’il a ; il est plein de manies, ce garçon-là. L’an dernier, lorsque nous allions en course tous les deux, il s’arrêtait tous les vingt pas pour fouiller dans le sable, et quand je l’ai repêché tantôt, il avait au cou une espèce de bourse ou de sac que j’ai donné à votre fille pour qu’elle l’examinât. J’ai présumé que c’était l’écrin où Zéphyr cachait ses pierres précieuses.

— Eh bien ! demanda le bonhomme Protat en interrogeant à son tour Adeline, à qui les paroles de l’artiste prouvaient une fois de plus que le jeune homme ignorait ce qu’elle avait tant craint qu’il n’eût découvert ; eh bien ! petiote, qu’est-ce que tu as trouvé dans le sac de Zéphyr ?

— Ce que M. Lazare avait présumé, — des cailloux, répondit Adeline avec une grande assurance. Et elle ajouta, comme pour convaincre l’artiste : Ce n’est pas étonnant ; l’autre jour en allant changer les draps au lit de Zéphyr, la Madelon a trouvé un tas de ces petites pierres sous son traversin.