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l’heure, si je ne l’avais pas arrêté à temps. Tout orphelin et tout pauvre qu’il est, si Zéphyr, au lieu d’être plus jeune qu’Adeline, était au contraire plus vieux, il y aurait bien à manœuvrer autrement, sinon pour le présent, au moins pour l’avenir. Adeline, ne songeant plus à moi, aurait pu se retourner du côté de Zéphyr, — du bon côté ; — Protat eût fait de l’opposition, mais il aurait bien fallu qu’il voulût ce qu’aurait souhaité sa fille. Malheureusement il ne faut pas songer à cela. Eh bien mais ! me voilà de la besogne taillée, sur laquelle je ne comptais pas. Je croyais être venu ici pour faire du paysage, et c’est au contraire pour faire de la diplomatie. Si j’avais prévu cela, j’aurais apporté une douzaine de toiles en moins et une douzaine de cravates blanches en plus.

Minuit sonna à l’église de Montigny.

— Allons, dit Lazare en se déshabillant tout à fait, c’est moi qui dois réveiller le soleil demain matin. Il est temps de dormir.


III. — la mare aux fées.

Le lendemain matin à la pointe du jour, Lazare sortait discrètement de sa chambre-atelier, n’emportant avec lui qu’un grand carton à dessin, son parasol et sa chaise de campagne. En passant devant la porte de Zéphyr, l’artiste y gratta légèrement pour lui dire de s’apprêter à le suivre.

— Monsieur Lazare, monsieur Lazare, murmura tout doucement Zéphyr, qui était déjà levé, ne faites pas de bruit et surtout n’ouvrez pas ma porte.

— Pourquoi ça ? demanda Lazare, un peu surpris et baissant la voix.

— C’est que mamz’elle Adeline m’a tapé hier au soir et m’a dit au travers du mur que j’aille l’attendre au jardin ce matin. Elle veut me parler avant tout le monde. Ah ! je sais bien à propos de quoi. — Et la voix de l’apprenti trahissait une crainte. — Si vous ouvrez la porte, ça va la réveiller parce que ça secoue son mur, et bien sûr elle m’empêchera d’aller avec vous.

— Il préfère venir avec moi, c’est bon signe, pensa l’artiste. Et il répondit doucement : Mais pour que tu puisses sortir, il faut bien ouvrir la porte.

— Ce n’est pas la peine, dit Zéphyr. J’ai laissé ma fenêtre ouverte exprès hier ; vous me mettrez l’échelle, et je descendrai comme ça. Allez-vous-en doucement ; ôtez vos souliers pour ne pas faire crier l’escalier. Je vais vous attendre à la fenêtre.

La précaution conseillée par Zéphyr était bonne, car l’escalier de bois criait et ébranlait toute la maison. Lazare retira ses chaussures,