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Si, d’un autre côté, au point de vue du mouvement des influences et des intérêts internationaux, l’aspect de l’Europe semble s’éclaircir ; si quelques-unes des difficultés récentes semblent s’apaiser, il reste évidemment encore le germe de bien d’autres complications. Telle est, à n’en point douter, la question d’Orient, suprême pierre de touche peut-être de la paix européenne. Aujourd’hui, il est vrai, la Turquie s’est rendue à l’ultimatum de l’Autriche, porté récemment à Constantinople par le comte de Leiningen ; mais on pourrait se demander combien il faudrait de soumissions de ce genre pour que l’indépendance de l’empire turc ne fût plus qu’un, mot. Il y a des esprits qui pensent que les choses ont duré longtemps ainsi pour l’empire ottoman et dureront longtemps encore. C’est justement parce qu’elles ont duré beaucoup que le dénoûment doit être plus prochain ; c’est justement parce qu’on a essayé de tout que le doute s’accroît et se propage sur l’intégrité et l’indépendance de la Turquie. Le vieux parti ottoman et ce qu’on a nommé le parti réformiste ont été vus à l’œuvre, et il n’est pas facile de dire s’il y a eu beaucoup moins d’impuissance et de corruption d’un côté que de l’autre. La France une fois a cru voir en Égypte un moyen de rajeunissement pour le vieil empire, et il s’est trouvé que ce n’était qu’un mirage, l’artifice puissant d’un homme énergique qui a emporté avec lui son secret. Il est peu présumable au reste que les gouvernemens de l’Europe abordent de front cette terrible et inévitable question ; mais il ne serait point impossible qu’ils ne marchassent au même but d’une manière détournée, en favorisant, comme on le fait aujourd’hui, la création de principautés à demi indépendantes, semblables à celles du Monténégro. Quelle peut être dans ces complications la politique de la France ? C’est une politique toute tracée, dira-t-on : elle consiste dans le maintien de l’intégrité et de l’indépendance de l’empire ottoman. Oui, c’est toujours le mot officiel qui est dans la bouche des cabinets ; mais si cette indépendance arrive insensiblement à n’être plus qu’une fiction par une série de démembremens indirects, il s’ensuivra que la question aura été résolue en dehors de toute participation de notre pays. Le malheur pour la France, c’est que depuis longtemps les révolutions sont venues fausser sa politique extérieure ou la réduire à l’impuissance ; elles ont créé à notre pays cette situation singulière et anormale où l’action isolée serait la plus périlleuse des tentatives, outre son impossibilité même, et où il n’est pas moins difficile de fonder une politique efficace sur des alliances vraies, sincères et durables. Et cependant plus que jamais aujourd’hui il y a pour la France une invincible nécessité de porter un regard ferme et prudent sur ces crises qui se préparent, que la sagesse peut ajourner encore, mais qui viendront infailliblement, à un instant donné, faire subir à l’équilibre de l’Europe la plus solennelle et la plus décisive des épreuves.

À travers cet ensemble de faits et d’incidens de nature à affecter la situation générale de l’Europe, chaque peuple conserve sans doute son existence individuelle ; mais, même dans cette existence, il est encore plus d’un trait commun à tous les pays. Il n’est personne qui n’ait pu observer le singulier développement qu’ont pris depuis quelques années les questions religieuses. En Angleterre, ces questions se retrouvent partout dans la politique ; elles ont excité plus d’une fois les passions populaires et elles les exciteront probablement