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Il y a encore dans le rapport d’Yshan un autre passage bon à citer. « Pendant la seconde lune (mars 1842), Jancigny nous fit remettre une dépêche dans laquelle il traitait également de la paix, en exprimant l’espoir que l’île de Hong-kong serait laissée aux mains des rebelles. Après avoir examiné avec plus d’attention la conduite de ces Français, nous reconnûmes qu’ils étaient amis de l’Angleterre, qu’ils voulaient tirer parti de leur médiation, et qu’ils songeaient à partager nos dépouilles. Alors nous ne les avons plus considérés que comme des gens rusés et imbus des principes barbares. Nous avons repoussé leurs offres, en leur conseillant de ne point aider les rebelles, de peur que les pierres précieuses et les pierres brutes ne fussent broyées dans le même mortier. Toutefois nous leur avons promis une récompense, s’ils voulaient s’employer au service de la Chine, et en même temps nous avons recommandé à nos officiers d’avoir toujours l’œil sur eux... » Ce rapport, dont le début décorait presque un officier français de la plume de paon, et dont la fin nous remet si brusquement à notre place de barbares, ne fut communiqué à l’empereur qu’au mois d’août 1842, c’est-à-dire au moment où Elipou et Kying signaient le fatal traité de Nankin. M. le commandant Cécille, ainsi que M. Page, qui avait intrépidement remonté le Yang-tse-kiang avec sa corvette, étaient conviés à assister à ce grand acte, et dans la suite les mandarins regrettèrent plus d’une fois de n’avoir point compris les paroles sincères et désintéressées que leur apportaient les agens de la France.

Par la conclusion du traité de Nankin, les Chinois s’engageaient à rembourser une forte indemnité, 21 millions de dollars, représentant les frais de l’expédition (les peuples battus par les Anglais paient toujours l’amende). L’île de Hong-kong était cédée en toute propriété à la couronne britannique; les étrangers obtenaient la permission de résider et de trafiquer dans cinq ports, sous la protection de consuls investis d’attributions et de privilèges fort étendus; le monopole des marchands hanistes était aboli, et le commerce devenait complètement libre; les droits d’entrée et de sortie sur les marchandises étaient fixés par un tarif spécial; l’opium ne figurait pas dans ce tarif, il demeurait officiellement prohibé. — En garantie du paiement de l’indemnité, les Anglais retenaient l’île de Chusan, où deux fois le sort des armes avait été si contraire aux troupes impériales.

Les termes de l’amende furent versés, à chaque échéance, avec une exactitude irréprochable. Le commerce légal suivit son cours régulier, et les mandarins fermèrent les yeux sur la contrebande de l’opium[1]. Les Chinois attendaient trop impatiemment le jour où les barbares évacueraient Chusan, ils étaient trop désireux de purger l’hypothèque et de rentrer en possession de leur territoire pour ne pas éviter avec soin toute discussion qui eût déterminé l’Angleterre à s’approprier le gage. Chusan est placé dans une situation

  1. « Kying, dit M. Davis, m’adressa en 1844 une note par laquelle il proposait ouvertement de laisser, d’un commun accord, toute latitude au commerce de l’opium. En conséquence, il n’y a pas eu, depuis la paix, un seul édit contre l’opium, et lorsque le consul anglais de Changhai, se conformant aux clauses du traité, signalait aux mandarins les navires qui se livraient à la contrebande, les autorités locales paraissaient peu empressées de recevoir ces sortes d’avis. Il ne manquait plus au commerce de l’opium que la sanction d’un édit impérial, mais cette sanction officielle ne put jamais être obtenue. »