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ne crois pas d’une manière absolue qu’il soit interdit à la peinture de traiter un tel sujet, je me borne à croire que pour le traiter il faudrait choisir une autre méthode. Que signifie en effet cette double composition réduite à elle-même, c’est-à-dire à ce que nos yeux voient? Elle nous rappelle les services éclatans rendus à la foi chrétienne par les quatre évangélistes et par les deux plus illustres apôtres; mais je n’aperçois nulle part l’idée complémentaire : «Dieu leur prépara des trônes dans le ciel. » Or cette idée, que j’appelle complémentaire parce qu’elle nous révélerait le sens intime de ces deux compositions, si elle trouvait une forme visible, n’est pas moins que l’idée mère de l’œuvre. J’aperçois clairement le mérite des évangélistes et des apôtres; quant à la récompense, l’esprit peut la prévoir, mais l’œil ne la voit pas. C’est pourquoi je n’hésite pas à condamner la méthode adoptée par M. Périn pour traduire l’idée de rémunération exprimée par saint Thomas d’Aquin.

Cette méprise s’explique par le désir immodéré de bien faire. L’auteur, après avoir sondé toute la profondeur du sujet qu’il avait accepté, a voulu rendre toutes les faces de sa pensée; il a résolu de transcrire sur les murailles d’une chapelle toutes les conséquences prochaines et lointaines d’une idée première aperçues par la réflexion. Vivant loin de la foule, seul avec sa conscience, avec le souvenir de ses lectures, il a perdu de vue pendant quelques jours la limite qui sépare la pensée parlée de la pensée peinte. Il a cru naïvement que tout le monde associerait comme lui l’idée de récompense à l’idée de mérite. L’événement nous a prouvé qu’il s’était trompé. Bien des spectateurs qui rendent d’ailleurs à son talent pleine justice se demandent de très bonne foi ce que signifient dans la chapelle de l’Eucharistie ces personnages, groupés trois par trois, qui ne prennent part à aucune action déterminée. Il est probable que M. Périn reconnaît aujourd’hui sa méprise. Malgré la persévérance avec laquelle il a poursuivi l’achèvement de son œuvre, il doit comprendre que les esprits les plus bienveillans, et j’ajouterai les plus éclairés, ne saisissent pas toujours sans effort ce qu’il a voulu dire. J’attribue, sans hésiter, à l’excès de la méditation l’obscurité ou du moins l’ambiguïté dont je me plains. C’est pour avoir trop longtemps réfléchi avant de se mettre en route que l’auteur a dépassé le but. Si, au lieu d’analyser avec la patience d’un solitaire toutes les parties de son sujet, au lieu de le décomposer, de l’épeler ligne par ligne, il se fût contenté d’interroger la tradition chrétienne dans sa forme primitive, il n’eût pas manqué de nous offrir des compositions très simples et très faciles à comprendre.

Je sais que son exemple ne sera pas contagieux; je sais que, dans le temps où nous vivons, l’abus de la méditation n’est pas à craindre.