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qu’on est convenu d’appeler arts d’imitation, ne saurait enfanter de belles œuvres. Rubens et Paul Véronèse ne sont pas aussi matérialistes que le prétendent leurs disciples infidèles. Il y a dans ces deux maîtres une part d’idéal facile à démêler. Seulement, au lieu de poursuivre l’idéal dans l’harmonie des lignes, ils le poursuivent dans la splendeur de la lumière, dans l’exubérance de la vie : on aura beau dire, ils agrandissent leurs modèles, ils inventent à leur manière, et ne se bornent pas à transcrire ce qu’ils ont sous les yeux. Or les réalistes de nos jours n’aperçoivent rien au de la de l’imitation littérale, et malheureusement une partie de la foule accepte comme vraie cette doctrine répudiée par l’histoire tout entière. Il faut donc saisir avidement toutes les occasions qui s’offrent à nous de rajeunir et de raviver tous les argumens déjà produits contre l’imitation pure. À ce titre, la chapelle de l’Eucharistie ne saurait être louée en termes trop sympathiques. Supposez un instant qu’une pareille tâche fût échue au pinceau d’un peintre franchement réaliste, non pas à la manière de Rubens ou de Paul Véronèse, mais à la manière de M. Courbet : qu’aurions-nous maintenant? Une suite d’épisodes où la tradition évangélique se trouverait défigurée par la fidélité même de l’imitation. Et pour que cette conjecture ne ressemble pas à un jeu de mots, je me hâte de l’expliquer. Il y a cent manières de comprendre, le crayon ou le pinceau à la main, la tradition évangélique, depuis Albert Dürer jusqu’à Titien, c’est-à-dire depuis l’austérité jusqu’à la splendeur; mais l’imitation littérale de tous les élémens de la réalité ne dissimulera jamais l’absence de l’esprit évangélique. Et, dans l’Assunta même qui se voit à Venise, il y a quelque chose de plus que le mérite de l’imitation.

Je vois dans la chapelle de l’Eucharistie un argument nouveau à l’appui de la doctrine que j’ai soutenue bien des fois déjà, et qui me paraît seule féconde. M. Périn n’eût-il prouvé qu’une intention excellente, je me croirais obligé de lui venir en aide et d’appeler sur lui la sympathie de la foule; mais il ne s’en est pas tenu à l’excellence de l’intention, il a conçu, il a composé, il a mené à bonne fin une œuvre que signeraient avec joie les plus habiles, une œuvre pleine d’enseignemens pour la génération nouvelle. Puissé-je trouver bientôt l’occasion de louer aussi franchement une œuvre qui se recommande par la même profondeur de pensée, par la même élévation de style; car la louange ne réjouit pas seulement l’oreille qui la recueille, mais bien aussi la bouche qui la prodigue : une belle œuvre console des œuvres mesquines; l’expression d’un sentiment généreux efface le souvenir des sentimens vulgaires. C’est pourquoi je remercie cordialement M. Périn.


GUSTAVE PLANCHE.