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avec lui à des crimes. « C’est une licence, dit Marin, dont il n’y a pas d’exemple depuis le commencement de la monarchie. » C’est ainsi que Marin justifie l’application que lui fait Beaumarchais des deux vers de Boileau sur Cotin :

Qui méprise Marin n’estime point son roi,
Et n’a, selon Marin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Le second portrait de Marin, qui se trouve dans le même mémoire, est encore plus coloré ; mais il est aussi beaucoup plus chargé, et en quelques points il touche au mauvais goût. Beaumarchais se laisse entraîner par les applaudissemens, et il abuse[1]. Le fait est que l’infortuné gazetier de France sortit de ce combat blessé à mort ; il ne s’en releva plus. Il ne pouvait se montrer nulle part sans se voir assailli de quolibets. Tous les petits théâtres exploitaient la vogue du ridicule attaché à son nom[2]. Bientôt le ministère, éclairé apparemment sur quelques méfaits, lui ôta toutes ses places, et sa chute fut aussi rapide que l’avait été son élévation. Cependant, comme il avait su gagner de l’argent, il prit le parti philosophique de se retirer dans son pays natal, à La Ciotat, où il acheta une charge de lieutenant-général de l’amirauté. Après la révolution, quand le souvenir de ses disgrâces eut été effacé par d’autres événemens beaucoup plus importans, il revint à Paris, où il mourut en 1809, à quatre-vingt-neuf ans, doyen des gens de lettres. Il eut encore le temps

  1. On sait que l’interrogation provençale, quesaco ? (qu’est-ce que cela ?) qui termine le second portrait du provençal Marin, parut si plaisante à la dauphine, depuis Marie-Antoinette, que, comme elle la répétait souvent, sa marchande de modes eut l’idée de donner ce nom à une coiffure nouvelle composée d’un panache en plumes, que les femmes portaient sur le sommet de la tête. « Cette coiffure, dit Bachaumont, perpétue l’opprobre du Marin bafoué jusqu’aux toilettes. »
  2. Citons, à ce sujet, un document inédit, émané d’une célébrité du XVIIIe siècle dans le genre burlesque, c’est ce qui m’engage à lui donner place dans une note. C’est une lettre du fameux Taconnet, auteur et acteur du théâtre de Nicolet, qui, envoyant à Beaumarchais une de ses pièces, lui écrit la lettre suivante, où se peint bien, en même temps que la licence des petits théâtres d’alors, la sensation très vive que produisait le procès Goëzman dans toutes les classes de la société. « Voici, monsieur, le motif qui m’engage à prendre la liberté de vous offrir ma petite pièce. L’acteur qui jouait le cocher dans ma pièce, étant arrivé à l’interrogat : En veau ? page 8, ajouta à son rôle : En veau marin, ce qui fut très applaudi, et il le fut de même, quand il continua par dire au mot vache : En vache Goëzman, affectant de parler allemand pour faire allusion aux vaches suisses, dont le lait est devenu en grande réputation, surtout depuis que les gazetiers en parlent. La pièce continua jusqu’à la scène IV, où Lisette dit : Mon cher Guillot, laissons ces mauvais caractères ; l’actrice ajouta : Les marins ne sont pas faits pour être sur terre. La pensée n’est pas mauvaise ; quant à la rime, elle n’est pas exacte, à une lettre près. Au surplus, on ne trouve pas d’s dans Marin ; par conséquent, comme a dit un homme célèbre, tout est bien. J’espère, monsieur, que vous pardonnerez mon importunité, je n’ai pas d’autre intention que celle de me dire très respectueusement, etc.
    « Taconnet. »