Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Marin n’avait épargné à Beaumarchais aucun genre de mauvais procédés ; car, non content de lui imputer vaguement les crimes les plus noirs, c’est lui qui le premier a cherché à insinuer qu’il n’était pas même l’auteur des mémoires publiés en son nom, qu’il fournissait seulement les malices, et que d’autres fournissaient les idées et le style. À cette absurde hypothèse, Beaumarchais répondait gaiement à sa manière : « Puisque c’est un autre, disait-il, qui écrit mes mémoires ce maladroit de Marin devrait bien lui faire rédiger les siens. » Gudin affirme que Jean-Jacques Rousseau disait à ce sujet : « Je ne sais pas qui écrit les mémoires de Beaumarchais ; mais ce que je sais bien, c’est qu’on n’écrit pas de tels mémoires pour un autre. » En effet, la personnalité de l’auteur perce à chaque ligne de ce singulier ouvrage, dont la lecture suffit pour réduire à néant la ridicule hypothèse de Marin ; mais, puisque cette hypothèse a été reproduite quelquefois, et puisque j’ai sous les yeux les brouillons mêmes des mémoires, on aimera peut-être à trouver ici quelques détails nouveaux sur la manière dont ils ont été composés. On lit avec plaisir, dans le Port-Royal de M. Sainte-Beuve, les détails qu’il a recueillis sur la composition des Provinciales. Les mémoires contre Goëzman sont peut-être d’un ordre moins élevé, mais ils ne sont pas sans quelque analogie avec le célèbre ouvrage de Pascal sous le rapport de la rédaction, de la publication et de l’effet produit. Ils embrassent, comme les Provinciales, peut-être même plus que les Provinciales, une grande variété de sujets. Indépendamment des tableaux de mœurs, des portraits et de la polémique personnelle, on y trouve des discussions de droit, des détails de procédure, des critiques voilées de l’organisation judiciaire d’alors, des aperçus historiques ; on y lit même une dissertation sur le baptême, où Beaumarchais cite Marc-Aurèle et Tertullien, et prend le ton austère du sujet en s’excusant d’être obligé de consacrer, dit-il, sa plume inégale et profane à une question si imposante ; il y a de tout enfin dans les mémoires contre Goëzman, il y a même un peu de chirurgie, ne serait-ce que l’énoncé du plaisant problème sur le cerveau de Bertrand, dont les deux lobes ne sont pas également sains. La souplesse du talent de l’auteur lui permettait de prendre facilement tous les tons ; mais, pour le fond des idées, il était nécessairement obligé de recourir parfois à autrui, et de même que Pascal mettait à profit l’érudition d’Arnauld, de Nicole, et luttait contre les jésuites entouré d’un groupe de jansénistes très-vivement mêlés à tous les incidens du combat, de même Beaumarchais livrait bataille à Goëzman, Marin, Bertrand, et par suite au parlement tout entier, assisté d’une petite phalange d’amis moins austères que les jansénistes, mais non moins ardens, qui se montraient empressés à lui fournir tous les renseignemens, tous les conseils dont il pouvait