Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle eût perdu sa lecture du Barbier. Elle la perdit néanmoins ; la délibération des juges se prolongeant (elle dura douze heures), Beaumarchais adresse au prince de Monaco le billet inédit suivant qui répond à la lettre de Mme du Deffand :


« Beaumarchais, infiniment sensible à l’honneur que veut bien lui faire M. le prince de Monaco, répond du palais, où il est cloué depuis six heures du matin, où il a été interrogé à la barre de la cour, et où il attend le jugement qui se fait bien attendre ; mais, de quelque façon que tournent les choses, Beaumarchais, qui est entouré de ses proches en ce moment, ne peut se flatter de leur échapper, qu’il ait à recevoir des complimens de félicitation ou de condoléance. Il supplie donc M. le prince de Monaco de vouloir bien lui réserver ses bontés pour un autre jour. Il a l’honneur de l’assurer de sa très-respectueuse reconnaissance.

« Ce samedi 26 février 1774. »


Au moment où il écrivait ce billet, Beaumarchais, après s’être rendu au palais, où il avait vu passer devant lui tous ses juges, venait de subir, selon l’usage, son dernier interrogatoire. La nuit précédente avait été consacrée par lui à régler ses affaires : il paraît qu’il était décidé à se tuer, s’il eût été condamné au pilori. Voyant que la délibération se prolongeait et vaincu par la fatigue, il se rendit chez Mme Lépine, sa sœur, se coucha, et s’endormit d’un profond sommeil.


« Il dormait, dit Gudin dans son manuscrit, et ses juges veillaient, tourmentés par les furies, divisés entr’eux. Ils délibéraient dans le tumulte, opinaient avec rage, voulaient punir l’auteur des Mémoires, prévoyaient les clameurs du public prêt à les désavouer, et remplissaient la salle de leurs cris contentieux. »


Ils s’arrêtèrent enfin à une sentence par laquelle ils espéraient donner satisfaction au public en se vengeant eux-mêmes. Ils condamnèrent Mme Goëzman au blâme, son mari fut mis hors de cause, sentence équivalente au blâme pour un magistrat et qui le force à quitter sa charge ; enfin ils condamnèrent Beaumarchais également au blâme.

La peine du blâme était une peine infamante qui répondait à peu près à ce qu’on appelle aujourd’hui la dégradation civique ; elle rendait le condamné incapable d’occuper aucune fonction publique, et il devait recevoir cette sentence à genoux, devant la cour, tandis que le président lui disait : « La cour te blâme et te déclare infâme. » On éveilla Beaumarchais pour lui annoncer ce résultat ; il se leva tranquillement, maître, dit Gudin, de tous ses mouvemens comme de son esprit.


« Voyons, dit-il, ce qui me reste à faire. Nous sortîmes ensemble de chez sa sœur. J’ignorais si on ne veillait pas autour de la maison pour l’arrêter ; j’igno-