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C’est la bonne fortune du Piémont d’échapper à ces soubresauts de l’histoire contemporaine. Malgré plus d’une crainte légitime qui pomait s’éveiller il y a un an, le régime constitutionnel est resté debout à Turin, et le Piémont jouit en paix de ses institutions libres. Le parlement continue la session à cette heure même et discute les affaires du pays. Deux questions essentielles ont surtout attiré l’attention publique dans ces derniers temps : l’une est la discussion de la loi sur le mariage civil, qui a eu lieu au sénat ; l’autre est la présentation du budget, qui a fourni au président du conseil, M. de Cavour, l’occasion d’exposer la situation financière du Piémont dans la chambre des députés. L’affaire du règlement du mariage civil est sans aucun doute la plus grave et celle qui pèse le plus sur l’état moral du jeune royaume constitutionnel. Il est également difficile aujourd’hui de l’éluder et de la résoudre. La question est toujours de savoir dans quelle mesure le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel doivent concourir à cet acte de la vie. Aux yeux de l’église, le mariage est un sacrement, et il ne vaut que par la consécration religieuse ; aux yeux de la loi civile, c’est un contrat ayant par lui-même toute sa force. Il s’agit de concilier ces deux interprétations pour imprimer tout ensemble au mariage la double sanction religieuse et civile. On peut s’en souvenir, une loi a été votée à ce sujet l’an dernier par la chambre des députés piémontaise. Cette loi est passée au sénat, qui vient de la soumettre à une élaboration nouvelle, en y introduisant des modifications de nature à désarmer les scrupules du pouvoir spirituel. Le sénat de Turin avait-il réussi à concilier les intérêts divers engagés dans cette délicate question ? Nous ne savons jusqu’à quel point il ne serait pas résulté des inconvéniens graves du moyen imaginé par le sénat, et qui consistait à se marier en quelque sorte provisoirement devant l’état civil, le mariage étant nul s’il n’était suivi de la cérémonie religieuse. Toujours est-il que l’article 1er de la loi a été rejeté, et que la loi tout entière a été emportée, de telle sorte que le gouvernement piémontais se retrouve encore en présence de cette épineuse difficulté. Quant à la situation financière du pays, le budget de 1853 en offre le plus exact résumé ; malheureusement elle ne se présente pas sous un aspect des plus brillans. M. de Cavour au reste sonde la plaie avec franchise ; il montre le déficit pesant sur les finances piémontaises. Ce déficit sera, pour 1853, de 25 millions sur un budget total de 125 millions. Pour le combler, M. de Cavour compte faire quelques économies et demander à l’impôt de nouvelles ressources. Les réformes qu’il propose portent sur les gabelles, sur la taxe personnelle et mobilière, sur la taxe du commerce et de l’industrie. Un impôt est ajouté sur les voitures publiques. Ces charges nouvelles devront nécessairement froisser bien des intérêts déjà en souffrance. C’est un malheur assurément, pour un régime qui se fonde à peine, de faire payer sa bienvenue aux peuples par des aggravations d’impôt. C’est à la sagesse et à la prudence du gouvernement piémontais d’alléger le plus possible le fardeau sous lequel ploient les populations pauvres et laborieuses de certaines parties du pays.

La Turquie continue d’occuper assez vivement l’opinion dans tous les grands états de l’Europe. On ne saurait dire quel tort a causé au gouvernement de la Porte le refus de ratifier ce malheureux emprunt, qui était cependant si ingénieusement combiné pour lui fournir les moyens de sortir d’une crise ef-