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formes. L’histoire, la géographie, les mœurs du Monténégro sont l’un des intérêts du moment. Dans les études approfondies dont ce pays est l’objet de l’autre côté du Rhin, nous reconnaissons avec une satisfaction particulière le fruit qu’ont porté les travaux si nombreux publiés depuis dix ans par la Revue sur les Slaves du midi, dans une juste prévision de l’avenir réservé à ces peuples[1]. Les Turcs, de leur côté, prennent fort au sérieux la question du Monténégro. L’armée de Bosnie reçoit depuis quelque temps tous les renforts que l’on peut lui envoyer de Constantinople ; mais cette armée a d’immenses difficultés à vaincre pour arrêter les progrès audacieux des Monténégrins. Non-seulement ceux-ci lui opposent tout l’entrain de leur patriotisme et de leur courage du haut de cette forteresse naturelle que forme la Montagne-Noire : les Bosniaques, encore mal soumis après une longue guerre, menacent de lui créer des difficultés en tombant sur ses derrières. Aussi, n’est-ce point sans de grandes précautions que les troupes turques s’avancent au milieu de populations déliantes contre un ennemi belliqueux protégé par une position presque inaccessible. La population du Monténégro est tout entière sous les armes ; les vieillards et les enfans gardent les maisons ; les hommes valides courent en masse à la frontière. Dans ces contrées, où l’état de guerre règne presque en permanence, tout citoyen, si pauvre soit-il, est armé au moins de deux pistolets, qui ne quittent point sa ceinture le jour, et qui chaque nuit reposent à côté de lui soigneusement chargés. Si les fusils sont moins nombreux, la Russie et l’Autriche sont là pour en fournir. L’artillerie, à la vérité, fait presque entièrement défaut aux Monténégrins : ce n’est point l’arme favorite des peuples primitifs ; mais si les Turcs sont à cet égard très supérieurs aux Monténégrins, cette supériorité ne peut avoir, dans les défilés où l’action se concentrera, les conséquences qu’elle entraînerait en rase campagne. Les Monténégrins recherchent surtout la guerre de surprises, dans laquelle ils excellent, et où l’artillerie est souvent une gêne, presque toujours un appareil inutile. Malgré les avantages incontestables que possèdent les Turcs sous le rapport de l’armement et du matériel de guerre, les chances ne paraissent donc point leur être favorables, et il est malheureusement à craindre que la Turquie ne donne à cette occasion une nouvelle preuve de faiblesse.

Que si de ces points divers de l’Europe nous jetons les yeux au delà des mers, vers le Nouveau-Monde, là s’agitent encore des questions d’un ordre souvent différent, mais qui n’en ont pas moins de portée. Pour en saisir toute la grandeur, il faut pénétrer le mystère de cette vie d’une race puissante comme la race anglo-américaine, de cette conquête permanente, de cette lutte avec toutes les forces de la nature, de ce travail gigantesque qui a pour résultat de porter la civilisation dans les contrées les plus reculées. Chaque année qui s’en va éclaire quelque nouveau progrès de cette prodigieuse puissance. Comme on le sait, les États-Unis sont aujourd’hui dans une sorte d’interrègne politique entre un président dont les pouvoirs vont bientôt expirer et un président déjà élu qui entrera bientôt en fonctions. M. Fillmore vient

  1. Voyez plusieurs articles de M. Cyprien Robert et de M. Desprez, notamment dans les livraisons du 15 décembre 1842, 1er mars 1843 et 1er juin 1848.