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exclusif et aristocratique des whigs. Cette raison ne peut s’admettre : le parti de Rockingham et de Fox n’était pas alors ce noyau du parti whig auquel on a depuis adressé ce reproche. Le duc de Bedford et tous les siens n’y figuraient pas, et Fox en particulier était bien loin d’appartenir à l’aristocratie de 1688, ni d’être lié par d’invariables antécédens de famille au côté libéral de l’opinion whig. M. Prior convient que la position de Burke avait baissé. Voilà qui est plus vrai. Nous avons nous-même indiqué quelques circonstances qui avaient pu diminuer son influence. On voit dans ses lettres qu’il était accusé d’avoir conduit l’opposition avec trop de violence. Il consultait peu, il se concertait peu; il agissait sous l’empire de pensées formées par la méditation et par l’étude. Son talent, littérairement oratoire, était plus propre à illustrer un parti qu’à le servir, et ne satisfaisait pas aux nécessités journalières du débat. Il s’inquiétait trop peu des dispositions de ses adversaires ou de ses amis ; il ne savait pas mener les hommes, et l’on peut conjecturer que l’opinion s’était établie qu’il ne devait pas, peut-être qu’il ne voulait pas être ministre. A raison même de son importance et du genre de son esprit, on devait le redouter dans l’intérieur d’un conseil, et il me semble entendre les raisons que les hommes d’expérience et d’habileté, que tous les médiocres qui prétendent à ce titre, donnaient apparemment pour prouver qu’il n’était pas propre aux affaires. M. Royer-Collard, à qui l’on pourrait d’ailleurs découvrir des points de ressemblance avec Burke, a eu quelque chose de cette situation parmi ses amis, et, quoiqu’il fût incontestablement le premier d’entre eux, on les a vus rarement disposés à l’avouer pour chef, encore moins à le porter au pouvoir. Au reste, Burke lui-même ne parut pas se regarder comme appelé au ministère. Peut-être avait-il trop attaqué la cour, c’est-à-dire le roi, pour ignorer que sa présence dans le conseil, difficile à obtenir, affaiblirait le crédit du cabinet. Peut-être même les circonstances qui l’en éloignaient et tout ce qui l’isolait parmi les siens, son indépendance, sa sévérité, le ton de ses opinions, le portaient à éviter de paraître ambitieux, et moitié naturel, moitié affectation, il secondait, par un puritanisme d’orgueil et de désintéressement, la timidité ou l’ingratitude de ses amis, en les autorisant à n’être pas ambitieux pour lui. Toutefois il est difficile que Burke n’ait pas ressenti ce procédé avec quelque amertume. Il ne le montra pas, il essaya même de ne pas se l’avouer, et rien dans sa conduite, rien dans sa correspondance ou dans ses conversations ne semble avoir trahi la mauvaise humeur ou le désappointement. Nous ne disons pas cela pour justifier les ministres de 1782 : un parti doit se défendre de ces jalousies, de ces pruderies, de ces défiances, et soutenir, et entourer, et grandir toujours ce qui le décore et l’ennoblit. Fox