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grande mission de traiter en public les intérêts de l’état, de servir ses concitoyens, de les éclairer, de les modérer, car tout cela est dans le mandat étroit du député. Je voudrais donc que, comme en Angleterre, mais par le droit du travail, au lieu d’un privilège de naissance et de fortune, on se préparât de bonne heure à la vie politique; que les études dans la jeunesse, la profession dans l’âge adulte, la manière d’être avocat, propriétaire, industriel, officier, magistrat, concourût à faire des hommes de choix pour la députation, ce but de la notabilité et du patriotisme, cette force incessante du pays, où le pouvoir gouvernant doit trouver tout ce qui fait régner, conseil, action, crédit extérieur, adhésion populaire, et dont il doit par conséquent se servir et non se défier, qu’il doit mettre en vue, et non en cage.

«Quant aux études premières qui peuvent conduire à cette noble vocation, et qui sont si péniblement remplacées plus tard, je cherche parfois quel est le meilleur mode de les fortifier et de les prolonger. Franchement, je ne crois pas que ce soient nos petits clubs de jeunes gens aristocrates ou libéraux. On y fait plus d’esprit de parti que de besogne, et on obtient des succès trop aisés en prenant la facilité, accrue par l’exercice, pour cette improvisation, la seule bonne, qui, lentement nourrie de faits et d’idées, trouve, sous le coup de la nécessité et de la passion, le mot nécessaire. Pour arriver là, j’estime bien plus, je regarde comme bien plus efficace l’étude solitaire, laborieusement faite, l’étude de nos grands anciens.

«Rien ne prépare à la facilité que l’effort. on ne parle puissamment que lorsqu’on a beaucoup médité. Cicéron, Démosthènes, les grands historiens de l’antiquité, voilà les maîtres qu’il faut encore de nos jours aux orateurs politiques. Je l’avouerai seulement, Cicéron a pour moi trop de longueries d’apprêts, comme disait Montaigne; il me paraît trop beau, trop pompeux; il me semble M. Lainé devenu correct et grand écrivain. Je crois que j’aimerais mieux Démosthènes; je dis Démosthènes tel que je le pressens, tel que je le conjecture, car toutes les traductions me le changent et le gâtent plus que de raison, j’en suis sûr. Où est-il donc? Où le trouver dans son langage comme dans sa puissante méthode, dans son attitude et sa physionomie comme dans ses os et ses muscles, que je sens partout ?

«Je ne sais si c’est la faute des mots de notre langue; mais on me le fait lourd et long, même dans un discours assez bref, et j’affirme que sa parole était vive comme son raisonnement, qu’elle saisissait, qu’elle entraînait, qu’elle broyait. Autrement, eût-il été ce que nous dit l’antiquité? eût-il vécu et fût-il mort, comme il a vécu et comme il est mort?