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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/379

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avait, pour peu qu’elle eût consenti d’obéir et de laisser à un autre la domination sur la Grèce? Mais cela n’était pas, à ce qu’il parait, dans les usages héréditaires des Athéniens d’alors, ni supportable pour eux, ni conforme à leur génie, et dans toute la durée des âges il ne fut jamais au pouvoir de personne de persuader à cette ville de se tenir, sous la main d’oppresseurs puissans et injustes, dans un tranquille esclavage. Mais lutter sans cesse, aventurer son salut, pour les plus nobles prix de l’honneur et de la gloire, voilà ce que, dans tous les temps, Athènes a fait avec constance. Et cela, vous le jugez si digne en soi, et si d’accord avec nos mœurs, que vous réservez surtout vos éloges à ceux de nos ancêtres qui l’ont pratiqué. C’était justice : qui n’admirerait, en effet, la vertu de ces hommes capables de quitter la patrie et la ville, montant sur des galères, pour ne pas se soumettre, alors que, Thémistocle leur ayant conseillé ce départ, ils l’élurent aussitôt pour chef, et Cyrcile, au contraire, leur parlant d’obéir, ils le lapidèrent sur place, et non pas lui seulement, mais vos femmes, la sienne; car les Athéniens d’alors ne cherchaient pas l’orateur ni le général grâce auquel ils pourraient jouir d’une heureuse servitude : ils ne croyaient pas même digne d’eux de vivre, s’il ne leur était donné de vivre libres. Chacun d’eux pensait qu’il avait été mis au monde non pas seulement pour son père et pour sa mère, mais aussi pour son pays. Quelle différence y a-t-il entre ces deux choses? La voici. L’homme qui se croit né seulement pour ses parens attend la mort fixée par l’ordre du destin et venant d’elle-même à son heure; mais celui qui se croit aussi né pour sa patrie veut mourir pour ne pas la voir esclave, et il juge plus affreuses que la mort les humiliations et les injures qu’il faut subir dans une ville asservie.

« Si donc je me hasardais à dire que c’est moi qui me suis mis en avant pour vous inspirer des pensées dignes de vos aïeux, il n’est personne qui ne dût avec raison me prendre à partie; mais aujourd’hui, moi, je confesse que de telles déterminations étaient les vôtres, et je prouve qu’avant moi Athènes avait à elle cette manière de penser. Une part d’action auxiliaire dans chacune des choses qui ont été faites, voilà ce que je dis m’appartenir aussi. Mais cet homme, au contraire, qui incrimine tout, et vous ordonne d’être implacables pour moi, comme pour l’auteur des alarmes et des dangers de la ville, en même temps qu’il aspire à me dépouiller, dans le présent, d’un titre d’honneur, il vous arrache à tout jamais votre gloire; car, si par cette considération que ma politique n’a pas été la meilleure vous condamnez Ctésiphon, vous paraîtrez avoir failli vous-mêmes dans le passé, et non pas seulement avoir succombé à la malignité de la fortune. Mais il n’en est pas ainsi : non, vous n’avez pas failli, hommes athéniens, en