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L’ASTRONOMIE EN 1852 ET 1853.

Si les astres, en perdant toute influence sur les destinées des hommes, ont aux yeux du vulgaire perdu tout l’intérêt qui s’attachait à leurs mouvemens et à leur position, nous trouvons cependant un cas où cette influence se manifeste sur notre globe ; il est bien entendu que c’est une influence physique et non une influence morale : je veux parler des marées. Tous les jours, sous l’influence de la lune et du soleil, les océans terrestres se soulèvent et s’abaissent deux fois. Deux fois par jour, le rivage est envahi par le flux et ensuite abandonné par le reflux. Cette incessante énergie des astres moteurs, et cette perpétuelle obéissance des plaines liquides aux lois mécaniques de la nature, se traduisent par des mouvemens tellement continus, que l’Océan semble animé ; mais c’est surtout sur les côtes de France que ces alternatives se déploient sur une grande échelle. Un phénomène encore plus curieux est celui dont nous avons donné ici même la description et l’explication[1] : je veux parler de la barre ou mascaret de la Seine, c’est-à-dire de cet immense et formidable flot qui, aux époques des pleines lunes et des nouvelles lunes des équinoxes, envahit subitement le bassin de la Seine dans les parages de Quillebœuf, à l’embouchure du fleuve. Pour être témoin de ce grand mouvement des eaux, supposons en 1853 un curieux partant de Paris pour Rouen, et de cette dernière ville arrivant en peu d’heures à Quillebœuf, par la voie de Pont-Audemer. Si c’est au 26 ou au 27 mars 1853, au 24 ou au 25 avril, au 3 ou au 4 octobre, ou bien enfin au 2 ou au 3 novembre, il contemplera le plus beau et le plus curieux de tous les phénomènes de l’Océan. Des grèves à perte de vue, sablonneuses et vaseuses, des rives basses, une rivière indigente d’eau, comparativement à son lit immense, seront, à une heure prévue, inscrites dans les éphémérides astronomiques, envahies avec fracas par une profonde plaine liquide poussée d’un mouvement irrésistible, au milieu du calme le plus complet, et dans le silence des vents et des orages. Ce n’est pas savoir profiter des beautés de la nature que de ne point aller observer ces magiques coups de théâtre de l’Océan, quand ils sont si près de nous et d’un accès si facile.

Je terminerai en émettant le vœu que le goût et la pratique de l’astronomie deviennent assez populaires en France pour engager les amateurs à soulager autant que possible dans leurs travaux les astronomes de profession, écrasés par les observations et les calculs réguliers des grands observatoires. Pourquoi ne verrions-nous pas chez nous, comme en Angleterre et aux États-Unis, des amateurs intelligens et dévoués établir dans des observatoires privés des instrumens spéciaux, pour suivre telle ou telle branche de cette belle science de la nature, dont le domaine embrasse l’immensité de l’univers ? Le grand Herschel lui-même, qu’était-il par rapport à l’observatoire royal d’Angleterre, sinon un simple amateur ? Et cependant qui jamais a fait plus que lui pour l’astronomie ? À part toute bravade d’esprit national, la France, dans l’astronomie comme ailleurs, peut-elle accepter une infériorité ?

Babinet, de l’Institut.
  1. Voyez la Revue du 1er  novembre 1852.