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ont formé des bataillons que Java pourrait opposer sans crainte aux Cipayes de l’Inde anglaise.

Malgré la voluptueuse mollesse de ma nouvelle existence, le temps que je passais à Macassar n’était pas entièrement perdu. Avec le major Kroll, j’apprenais à connaître le parti que de bons officiers peuvent tirer des recrues indigènes. M. Schaap, revêtu du double caractère de sous-préfet et de magistrat, me montrait comment un résident hollandais, le Coran à la main, peut rendre la justice aussi sommairement que saint Louis sous son chêne. M. Bik me faisait assister à l’investiture des orang-kayas, chefs subalternes qui remplissent à Célèbes le rôle des gobernadorcillos de l’île Luçon. Là, je vis des chefs de village ne recevoir l’emblème de leurs fonctions qu’après avoir paru comprendre les obligations qu’ils allaient contracter. En ma présence, on leur exposa longuement les devoirs de leur charge; puis on leur fit jurer, la main étendue sur le livre du prophète, de demeurer fidèles à la Hollande, de maintenir la paix et le bon ordre dans leurs communes. Le gouverneur lui-même présidait cette séance, et ce fut lui qui reçut les sermens des orang-kayas. Aucun sourire ne troubla la cérémonie. Jusqu’au dernier moment, on mit à la consécration de ces officiers municipaux un appareil de sérieux et de gravité qui devait nous frapper d’autant plus que nous avions été à Luçon les témoins inattendus d’une investiture semblable. La mise en scène était à peu près la même, mais l’effet nous en avait paru légèrement compromis par la verve moqueuse et la pétulance des compatriotes de Michel Cervantes. Les Hollandais ont plus d’empire sur eux-mêmes. Le spectacle ridicule de demi-sauvages transformés en fonctionnaires européens ne parvient pas à triompher de leur sang-froid. Ces hommes du Nord ont des nerfs inébranlables : ils feraient, sans dérider leur front, endosser l’habit noir à tous les maires et à tous les adjoints de la Nouvelle-Guinée. Il est fort heureux, après tout, que les maîtres de l’île Célèbes ne soient pas nés plus railleurs, car une gaieté intempestive ne serait point sans danger avec les Macassars. Ce peuple, bien que soumis, sort d’une race fière et chatouilleuse. Il n’eût jamais été subjugué par une poignée d’étrangers, si avec sa bravoure il eût possédé ce qui fait la force des nations, — l’union et la discipline. A Macassar comme à Bonthain, l’arme favorite des indigènes est le kris, poignard à manche d’ivoire et à lame flamboyante, que l’homme du peuple et le noble portent également à la ceinture. Outre cette arme, souvent frottée d’un mélange d’arsenic et de jus de citron, les guerriers de Célèbes se servent de lances et de boucliers; l’usage seul du sabre leur est inconnu.

On compte environ dix-sept mille âmes dans la ville de Macassar,