prenait je ne sais quoi de forcené qui dépassait ses auditeurs. Il le sentait sans se le reprocher, et il cessa d’assister exactement aux séances de la chambre des communes. Les questions qui s’y débattaient ne l’intéressaient plus. Seuls, les opprimés dont il avait embrassé la cause le trouvèrent fidèle. Il continua de poursuivre l’oppresseur de l’Inde. Il n’abandonna pas les catholiques d’Irlande. Leur émancipation, ou du moins l’adoucissement du régime qui pesait sur eux, était alors une question tout irlandaise, c’est-à-dire qu’elle s’agitait dans le parlement de Dublin. De tout temps, Burke avait pris parti pour la tolérance. Dès 1782, une lettre à lord Kenmare, dans laquelle il s’élevait contre les lois pénales si justement maudites des Irlandais, avait été publiée sans son aveu; mais il ne la démentit pas, et il développa de nouveau ses vues, dix ans après, dans une lettre publique à sir Hercules Langrishe, membre du parlement. Quoique, dans cette question, il lui fallût plaider contre les traditions des anciens whigs, ses lumières l’emportèrent sur ses préjugés, et la crainte d’arracher une pierre au vieil édifice de 1688 ne l’arrêta point. En matière de liberté religieuse, il resta libéral. C’est, dit-on, qu’il était Irlandais. Il se peut, et il n’est pas défendu de haïr l’oppression par sympathie pour les opprimés. Quand on ajoute qu’il se ressentait de son éducation chez les jésuites de Saint-Omer, on répète une fable. Si l’on veut que ses relations avec les émigrés français, avec des prêtres fugitifs, aient contribué à le rendre plus sensible aux intérêts des catholiques, rien n’est plus vraisemblable; mais comment en faire un reproche? Le clergé du continent, de son côté, n’a guère compris les principes de liberté que par les discussions sur l’Irlande. Ainsi le malheur enseigne la justice. Pour Burke, en aucun temps il n’a admis que la force armât le christianisme contre le christianisme. Nous ne sommes pas sûr que des philosophes eussent obtenu de lui la même indulgence. Tolérance pour les hérétiques, intolérance pour les incrédules, telle pourrait bien avoir été, vers la fin, sa devise, et quand les protestans dissidens devenaient démocrates, il était tout prêt à les prendre pour des incrédules.
Burke était malheureux : il avait perdu l’amitié de Fox; au commencement de 1792, la mort lui ravit sir Joshua Reynolds, qui le nomma son exécuteur testamentaire avec un legs honorable. C’était perdre encore un ami. Burke, qui aimait les arts et qui en parlait bien, avait donné au grand peintre quelques idées pour ses leçons sur la peinture. Reynolds avait laissé de lui un portrait qu’on dit fort ressemblant, et qui est un de ses bons ouvrages. A sa mort, Burke traça quelques lignes pleines de sentiment et de goût qui furent accueillies aussi comme un excellent portrait. Les admirateurs de tous deux disaient que c’était l’éloge de Parrhasius prononcé par Périclès.