presque toujours, il forcera la vérité et passera le but. Lorsqu’il suffit de convaincre, il voudra encore émouvoir, et comme il mêle tous les genres, le ton de la composition et celui de la conversation, il pourra pousser l’élévation jusqu’à la solennité, et le laisser-aller jusqu’à la grossièreté. Il pourra avoir tous les défauts excepté la froideur et la sécheresse, toutes les qualités excepté la précision sévère et l’élégante simplicité. Son ami Reynolds devait lui trouver quelque chose du dessin de Michel-Ange et du coloris de Rubens.
Enfin les Anglais agitent d’ordinaire deux questions au sujet de Burke : — a-t-il été consistant? a-t-il été un prophète politique? Nous devons, en finissant, dire un mot de toutes deux, quoique la première, nous l’avouons, ne nous intéresse qu’autant qu’elle peut servir à éclairer la seconde.
On n’ignore pas combien l’inconsistance est en Angleterre un reproche redouté des hommes publics. « Si grand est l’effet, dit sir James Mackintosh en parlant de Burke, d’un seul acte inconsistant avec le cours entier d’une longue et sage vie politique, que le plus grand philosophe de la politique[1] que le monde ait vu jamais passe auprès du superficiel vulgaire pour un enthousiaste à cerveau brûlé. » C’est en effet au vulgaire qu’il convient surtout de juger de la probité ou de la fermeté politique d’un homme par l’accord de ses actes avec ses principes, et de ses opinions présentes avec ses opinions passées. La constance dans les sentimens de toute la vie, la fidélité à soi-même, sont les signes les plus apparens du genre d’esprit et de caractère que les affaires publiques réclament. Celui qui se dément lui-même, fût-ce par de justes motifs, perd au moins son autorité, et quiconque se convertit fera bien de s’abstenir du prosélytisme. Après une longue erreur sur les principes, il peut être beau de la reconnaître, mais il faut renoncer à gouverner les hommes. Le libéral qui s’amende et devient absolutiste doit se repentir et se taire : la retraite sied à la pénitence. Il ne faut jamais que la nouveauté d’une conviction paraisse intéressée, et que les gens qui se convertissent ressemblent à des gens qui se retournent. Mais est-ce le cas d’une inconsistance reprochable, de celle qui indique la versatilité d’esprit ou l’incertitude des principes, lorsque en temps différens on tient et l’on conseille des conduites différentes? et à des maux qui changent ne faut-il pas changer les remèdes? Pour avoir maintenu la paix, ne doit-on jamais faire la guerre, et faut-il conduire les temps de troubles de la même manière que les temps calmes? Non, sans doute, mais une situation étant donnée, s’il y a
- ↑ Il y a dans le texte in practice, mais il s’agit évidemment de la pratique des affaires humaines.