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éclaire et transfigure sans cesse toutes les choses d’ici-bas. Grâce à ces rayons qui nous enveloppent, la poésie est partout; les choses les plus vulgaires se transforment, l’existence la plus humble se couronne de splendeurs miraculeuses, et l’artiste chrétien vit et travaille au milieu d’un continuel enchantement. « Que faut-il pour cela? dit l’auteur; rester fidèles au caractère national. Le monde était épuisé et ne pouvait plus gi vivre ni mourir; un enfant parut qui prononça ces paroles : Si vous ne devenez pas comme un enfant, vous n’entrerez jamais dans le royaume des cieux. Mais le vieux monde ne comprit pas le sens si simple et si profond de ce langage. Alors accoururent les peuples germaniques, qui détruisirent le vieux monde et élevèrent l’enfant sur leurs boucliers de peaux. De cette union de l’esprit du Nord et du dogme chrétien est sorti le monde moderne. » — Redevenez enfans, dit le brillant poète aux artistes de son siècle, et vous retrouverez tous les mystérieux liens de la terre et du ciel, c’est-à-dire toutes les ressources et toutes les inspirations de la poésie qu’a entrevue le moyen âge et dont nous soupçonnons à peine les trésors. — Le problème, comme on voit, est posé de la façon la plus nette, et le manifeste du baron d’Eichendorff ouvre convenablement notre étude.

Redevenir enfans ! C’est déjà là ce que disait il y a trois ans, au plus fort des luttes révolutionnaires, ce naïf poète que l’Allemagne a accueilli avec une sympathie si cordiale, M. Oscar de Redwitz; M. d’Eichendorff s’approprie la même pensée, une foule d’écrivains la répètent; il semble que ce soit le mot de la situation. Ceux qui ne prennent pas cette formule dans le sens chrétien s’en rapprochent cependant par de singulières analogies; ils expriment le désir d’une existence nouvelle, ils recommandent d’oublier le passé, de recommencer leur tâche mal conduite, de se remettre à l’œuvre sans découragement et sans rancune. Plusieurs romans, quoique très défectueux dans leur ensemble, ont été en cela les interprètes d’une inspiration générale. Voyez la dernière œuvre de M. Gutzkow, les Chevaliers de l’esprit! M. Gutzkow, en publiant cet ouvrage, a eu le tort d’inaugurer en Allemagne le roman-feuilleton, le roman qui se déroule sous la plume de l’écrivain, comme la soie ou la laine sur le métier du tisseur. Il a eu l’ambition peu glorieuse de rivaliser avec la fabrique française; les volumes ont succédé aux volumes, et l’entreprise a dû mériter de graves reproches. Peu à peu cependant le conteur a ressenti l’influence des émotions publiques ; son récit, qui se traînait péniblement, s’est débarrassé de l’imitation d’une certaine école, et les dernières parties du tableau ont exprimé d’une façon assez vive les tristesses et les vœux de la période où nous entrons. Il s’en faut bien, on peut le croire, que le roman de M. Gutzkow soit une composition de premier ordre et mérite le succès bruyant que les deux derniers volumes surtout ont obtenu au-delà du Rhin; ce succès n’en est pas moins un symptôme. Que l’auteur ait résolu ou non les difficultés de sa tâche, qu’il ait donné de bons ou de mauvais conseils à ceux pour qui il a composé son livre, il est impossible de nier qu’il ait hardiment touché en finissant aux problèmes les plus vifs de notre époque.

J’aperçois deux choses très distinctes dans l’œuvre de M. Gutzkow : d’abord un long roman, un tableau minutieux, compliqué, où l’imitation de M. Eugène Sue n’est que trop flagrante, puis une histoire qui confine sans cesse