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intéressantes, des témoignages précieux de l’esprit de leur époque : ils n’ont pas produit une seule œuvre qui eût une valeur définitive et pût être acceptée par l’Europe. Jean Paul, avec son éblouissant génie, n’est accessible qu’aux initiés; Tieck est trop subtil, Zschokke trop prosaïque, Achim d’Arnim trop mystérieux, Clément de Brentano trop enfantin, Immermann trop spécialement germanique dans l’admirable récit de Münnchausen. Heureusement Goethe a écrit Werther; mais c’était là une œuvre de jeunesse qu’il devait dédaigner plus tard, et dans les récits plus étudiés de son âge mûr, malgré les trésors qu’il y a semés, pourrait-on citer un seul roman européen? Cette gloire, que l’Espagne peut revendiquer au commencement du XVIIe siècle, semble réservée dans les temps plus modernes à l’Angleterre et à la France. Pour le roman historique particulièrement, ce n’est pas le zèle qui a fait défaut. L’esprit allemand a le goût des recherches; il aime ces détails intimes qui nous introduisent dans la vie d’une époque; il a un sentiment très vif de ces vieilles chroniques familières où l’auteur d’Ivanhoe a puisé tant d’inspirations immortelles. D’où vient que des écrivains si heureusement préparés n’aient pas mieux réussi? Ne serait-ce pas que l’ardeur même des investigations a nui chez eux à la faculté poétique? J’en faisais tout à l’heure la remarque à propos de l’auteur d’Albert Holm; la scrupuleuse exactitude avec laquelle il reproduit, je ne dis pas les mœurs, mais les controverses théologiques du XVIe siècle, offusque trop souvent les bonnes parties de son tableau. L’auteur de Carrara pêche aussi par l’emploi exagéré de la science. N’en faut-il pas dire autant du William Shakspeare de M. Henri Kœnig, récit bien fait, bien étudié, mais plus semblable à une biographie qu’à une œuvre d’art? Il en est enfin chez qui l’érudition seule a quelque prix. Ce sont des historiens littéraires, ce sont des esprits lumineux et sagaces; ils étudient une époque, ils la savent, ils la possèdent : pourquoi n’écriraient-ils pas un mémoire? Ce serait un travail plein de faits et de points de vue nouveaux. Non; ils composent un roman, et tous les résultats de leurs investigations sont noyés dans une fable languissante. Leur invention est froide, ils le sentent bien; alors, pour suppléer à ce qui leur manque, pour donner le change aux lecteurs et se faire illusion à eux-mêmes, ils accumulent les événemens, ils multiplient les personnages. Cette longue et traînante histoire devient inextricable. Bien habile qui pourrait débrouiller ce docte imbroglio !

Je faisais ces réflexions en lisant, avec toute l’attention que commande le nom de l’auteur, un roman de M. Wolfgang Menzel : Furore, histoire d’un moine et d’une nonne pendant la guerre de trente ans. Esprit incisif, écrivain élégant, M. Menzel avait jusqu’ici brillé dans la critique. Si ses appréciations des auteurs contemporains étaient trop souvent passionnées, si ses invectives contre Goethe attestaient un patriotisme étroit, si sa haine contre la France l’avait exposé aux rudes colères de Louis Boerne, il était incontestable cependant que le talent et l’honnêteté de sa parole lui assuraient une certaine autorité. M. Menzel s’est dit tout à coup : Et moi aussi, je suis peintre! et il a prouvé seulement qu’il avait fait sur l’Allemagne du temps de Wallenstein et de Gustave-Adolphe des études très profondes. Je voudrais voir résumés dans un livre sans prétention tous les faits curieux, tous les traits de mœurs, tous les détails dramatiques et bizarres que M. Menzel a recueillis dans ses lectures. Les notes de son travail, s’il voulait nous les donner,