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M. Baumbach, ouvrages remarquables par la nouveauté et l’indépendance des vues; ce serait pourtant m’éloigner un peu trop de mon sujet. MM. Kirsten et Baumbach ont leur place marquée parmi les publicistes : qu’il me suffise d’avoir signalé ici leurs noms. Le vieux monde poursuit de mille côtés sa curieuse enquête sur le nouveau; par ses voyageurs et par ses romanciers, l’Allemagne aura une part importante dans ce grand travail.

Il manquerait assurément quelque chose à ce tableau du roman et des romanciers allemands, si je n’indiquais en terminant les traductions des conteurs étrangers. Goethe parlait souvent d’une littérature cosmopolite, — Weltliteratur, — disait-il, où tous les produits de l’imagination humaine seraient immédiatement recueillis et confrontés. Il n’aurait rien à souhaiter aujourd’hui, son vœu est exaucé. Ce que Londres a fait il y a deux ans pour tous les travaux de l’industrie, l’Allemagne le fait tous les jours pour les œuvres de la pensée; il y a là, toute l’année durant, une exposition universelle de la littérature. Les progrès accomplis par la langue allemande depuis le XVIIIe siècle, la souplesse nouvelle communiquée à ce riche idiome par le groupe que dominent Louis Boerne et Henri Heine, ont contribué à ce résultat. Je doute qu’il y ait dans le monde une langue aussi flexible, un moule aussi docile à garder toutes les empreintes. Que de poètes traduits par les Allemands avec une perfection merveilleuse! De Valmiki à Homère et d’Homère à Shakspeare, les œuvres les plus différentes ont trouvé chez eux d’excellens interprètes. On ne s’étonnera pas que ce soit un jeu pour nos voisins de traduire les romanciers du Nord. Toutes ces traductions ne sont pas également recommandables, la précipitation et le charlatanisme sont de tous les pays; mais aussi, combien de résultats heureux ! Grâce à cette Weltliteratur que Goethe souhaitait si ardemment, on peut aujourd’hui, sans sortir de l’Allemagne, s’initier aux littératures slaves et scandinaves; les Russes, les Danois, les Hollandais, les Hongrois ont droit de cité dans ce grand musée des lettres germaniques. J’ai sous les yeux un roman du poète populaire de la Hongrie, la Corde du Bourreau, par Alexandre Petœfi. Le traducteur, M. Kertbény, n’est pas toujours un de ces artistes habiles qui font honneur aux ressources de la langue allemande ; mais le hongrois est peu connu en Allemagne, et il faut savoir gré à M. Kertbéni de sa bonne volonté. Au contraire, c’est avec une habileté parfaite que M. Wilhelm Wolfsohn nous a donné les principaux conteurs de la Russie[1]; ses cinq volumes contiennent des nouvelles de plusieurs écrivains célèbres, vivans ou morts, Héléna Halm, Alexandre Pouchkin, Nicolas Pawlow, Alexandre Herzen. Un curieux roman de Lermontoff, le Héros de notre temps (Der Held unserer Zeit), a aussi trouvé un interprète. M. Zeise a traduit avec talent les nouvelles d’un jeune écrivain danois, M. Christian Winther. M. Zeise eût pu faire un choix plus heureux; malgré la patriotique ardeur des érudits de Copenhague, la littérature danoise est trop souvent un reflet de la France et de l’Allemagne, et quand M. Winther n’imite pas les romantiques allemands, il s’inspire de nos mélodrames. M. Christian Winther n’est pourtant pas un écrivain sans talent; jeune encore, il a rendu de vrais services; sa traduction de Reineke Fuchs est estimée, et dans ce recueil même que je viens de blâmer, il y a une belle composition, Scène du soir, qui

  1. Russland’s Novellen-Dichter, Leipzig; — Erzählungen aus Russland, Dessau, 1851.