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l’invention, des effets combinés, des contrastes préparés. Il faut pourtant que maintenant on se transporte dans une région qui ne ressemble guère à celle où cette histoire a commencé : c’est sur les cimes de l’Atlas que Mme de Bresmes devait aimer.

Je ne sais pas si l’Atlas porte toujours le monde : il s’est accompli tant de révolutions ; mais c’est à coup sûr une merveilleuse chaîne de montagnes. Quelques-uns de ses sommets font resplendir dans le ciel éblouissant de l’Afrique une neige sans tache comme la virginale couronne de la Yung-Frau. Ses flancs ont des teintes charmantes, rouges, orangées, lilas, toutes les teintes des soleils couchans. Ils sont entr’ouverts par des vallées où des bois d’oliviers et de lièges déploient leur métallique verdure. Toutes ces beautés sont animées par une âme plus orgueilleuse et plus sauvage que celle des Pyrénées et des Alpes. Les voyageurs n’ont pas joué encore avec la mystérieuse grandeur du Jurjura.

A trente lieues d’Alger, à peu près en face de cette montagne où il faudra qu’un de ces printemps nous fassions tonner une bonne fois nos obusiers, il y a un vieux bordj qui date des beaux jours du Turc. C’est une sorte de château-fort composé de quatre grands murs crénelés et bordés de terrasses. A l’extrémité d’un de ces murs s’élève, dans un singulier isolement, un marabout dont le faîte sert presque toujours de perchoir à une cigogne. Ce mélancolique édifice est construit sur une hauteur qui domine une profonde vallée ensanglantée déjà par maints combats et conduisant à des pays inconnus encore, où restera plus d’un d’entre nous. On a de là une de ces vues chères à certains esprits, parce qu’elles éveillent en eux des idées d’aventures et de dangers. Aussi était-ce le séjour favori de Sidi-Pontrailles. car le héros de cette histoire avait reçu, lui aussi, ce surnom dont l’Espagne a fait le plus glorieux de ses noms chevaleresques. Il avait été appelé Sidi comme Rodrigue. C’était un de ces officiers français que les Arabes révèrent presque à l’égal de leurs chérifs. Pontrailles était célèbre dans tout le pays kabyle par sa justice. Le fait est que c’était un grand justicier à la façon de quelques seigneurs du moyen âge. Sa parole était, disait-on, l’éclair de son sabre. Les Arabes ont le culte de la justice prompte et porte-glaive ; les peuples de l’Orient seront toujours ces peuples que Dieu, quand il les gouvernait lui-même, menait avec des anges exterminateurs. Les gens dont Pontrailles avait brûlé les gourbis, coupé les oliviers, pris les moutons, avaient pour lui une déférence presque sympathique. Ils lui auraient même pardonné d’abattre de temps en temps une de leurs têtes. Peut-être était-ce, du reste, ce qu’il faisait; mais ce sont des secrets d’administration dont il est inutile de s’occuper; chacun remplit de son mieux la tâche qui lui est confiée. Ce qui est certain, c’est que Pontrailles était un chef vénéré et redouté.