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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/567

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disparaître et les étoiles se lever, que la nuit était avancée déjà, une ardente pensée s’empara de Pontrailles. Il se mit à ses genoux et lui dit : Faut-il donc que je vous quitte, vous que je retrouverai, je l’espère, dans l’éternité, mais que je verrai si peu dans cette vie? Voyez-vous, toutes les séparations sont affreuses, même celles de quelques instans. Ce sont des provocations au malheur. Quand une fois on a trouvé la chère vision, dont on doit avoir toute son existence illuminée, on ne devrait jamais la laisser disparaître; ces ombres que nous sommes tous se dispersent et s’évanouissent si vite dans la vallée où Dieu nous fait errer. Dans ce moment-ci, je vois vos yeux, je sens vos mains. Je touche le Dieu que j’adore, ne m’abandonnez point, par pitié.

Elle était assise sur un de ces canons qui décoraient la terrasse du bordj; elle s’inclina sur le front de Pontrailles, et y mit un baiser, puis elle se leva et courut à la chambre où elle avait passé la nuit. Une tapisserie en défendait seule l’entrée. Quand elle fut arrivée au seuil de ce sanctuaire qu’elle voulait rendre inviolable, elle se retourna vers son amant. — Maintenant que je vous connais, fit-elle, je me sais mieux défendue par cette tapisserie que je ne le serais par les murs d’une forteresse. Adieu, mon ami, le jour vous rendra demain votre vision, car notre amour n’aura rien à redouter des rayons du soleil; je veux qu’il reste pur comme le ciel dans lequel il est né.

Pontrailles alla se jeter sur une petite natte et alluma une longue pipe, bien sûr de n’avoir cette nuit-là aucune relation avec le sommeil. Sa vie était devenue un roman, son âme une vraie élégie, et je crois pourtant que le hussard reparut en lui. Les dernières paroles de Mme de Bresmes lui parurent d’une mauvaise poésie; mais il se dit : — L’amour est comme les conquêtes, il a sa fatalité. Il y a quelque temps je me battais dans le Tell, me voici en pleine montagne aujourd’hui; j’étais dans le petit désert l’an dernier, je serai l’année prochaine dans le Sahara. Demain je la reverrai, et elle m’aime.


VI.

Elle s’endormit, elle, au contraire, d’un sommeil à la fois doux et profond. L’air qu’elle avait respiré, l’amour dont elle s’était enivrée, avaient composé un vrai philtre dont elle subissait l’influence. J’ai remarqué que les songes en Afrique s’imprégnaient d’une chaleur, se teignaient d’un coloris que les rêves n’ont point dans nos contrées. On est là sur la terre qui a porté l’échelle mystérieuse dont se servent les anges pour descendre du ciel. Elle se vit errant avec Pontrailles dans des lieux plus resplendissans encore que ceux qu’elle avait parcourus. C’était la splendide idylle de sa journée qui s’achevait dans des paysages impossibles, sous des ombrages inconnus. Elle