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point ce titre qui fait l’élévation du rang : c’est la grandesse qui constitue la noblesse. Or, qu’elle soit duchesse, ou comtesse ou marquise, et elle peut être tout cela à la fois, Mlle de Montijo occupe assurément ou occupait un rang élevé dans la grandesse espagnole. Elle va par son nom de pair avec les plus illustres maisons. Son père, le comte de Teba, était le second fils de la famille des Montijo, dont l’aîné était entré fort avant dans le mouvement de résistance à l’invasion de 1808 ; il était même un des chefs du soulèvement du royaume de Valence. Le comte de Teba entrait au contraire à cette époque dans l’armée française et servait le gouvernement de Joseph. Ce n’est que postérieurement, à la mort de son frère aîné, que le comte de Teba héritait du nom et des biens considérables des Montijo, et c’est à ce titre qu’il a été depuis, sous le règne d’Isabelle, sénateur du royaume. Il est mort en 1839, laissant deux filles, dont l’une est mariée au duc de Berwick et d’Albe, et l’autre est devenue l’impératrice des Français. Jeune encore. Mlle de Montijo s’était fait, il y a quelques années déjà, dans la société de Madrid, une grande réputation par la hardiesse de son imagination et la vivacité ardente de son caractère. Elle frappait par une sorte de grâce virile qui en eût aisément fait une héroïne de roman, et elle portait fièrement, avant de ceindre le bandeau impérial, cette couronne de cheveux dont un peintre vénitien eût aimé la couleur. La destinée nouvelle de la comtesse de Teba ne l’a point émue, assure-t-on. Elle a du moins trouvé, à la veille de monter sur le trône, l’occasion d’accomplir mi acte de bon goût en faisant rejaillir sur les pauvres le produit d’un don considérable, par lequel le conseil municipal de la ville de Paris s’était cru obligé de saluer son avènement. Maintenant les derniers bruits des pompes qui avaient lieu hier à Notre-Dame s’évanouissent déjà. Une voie nouvelle s’ouvre pour la brillante Espagnole d’il y a quelques jours, en ce moment associée à l’empire, et cette voie nouvelle n’est-elle pas ouverte pour la société française tout entière ? Ce n’est pas même du jour de ce mariage que notre société est entrée dans une phase de transformation. Étrange chose ! combien y aurait-il eu d’hommes, il y a quelques années, qui se fussent fait un point d’honneur de braver l’étiquette et de paraître à la cour en costume démocratique ! Il n’en est plus de même aujourd’hui : les fêtes se multiplient, et l’étiquette reprend son empire. Nous ne nous plaignons point assurément que les grands fonctionnaires de l’état donnent des fêtes, que les cérémonies aient leurs pompes et leurs règles, et qu’il faille se vêtir proprement pour figurer à la cour. Très probablement il est des industries qui seront fort satisfaites qu’on s’habille de velours et que le bas de soie devienne de rigueur ; mais, à côté de ces choses extérieures, il y a évidemment à accomplir un travail plus profond qui consiste à ramener la société au culte de sa propre dignité, des supériorités qui font sa force, des distinctions qui ont fait l’influence de la France dans le monde. Ce travail intime et profond accompli, la transformation des mœurs et des usages suivra son cours. Elle ira jusqu’où elle peut aller, et elle s’arrêtera aux limites que comportent notre temps et la vie moderne.

Cette résurrection de certaines habitudes, de certains usages, de certaines obligations officielles est l’accompagnement ordinaire des grandes reconstitutions du pouvoir qui aime ces signes extérieurs par lesquels il se rend témoignage à lui-même et se fait visible à tous les yeux, même dans les fêtes et les