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était différent entre nous, écrit-il quelque part, notre vie n’avait pas la même fin ni les mêmes élans. » A-t-il pris la plume dans l’intention d’être utile à son parti et d’employer son talent au service d’une cause pour laquelle, après tout, il n’a guère que des sympathies passives? Nous croyons plutôt que la biographie du général Pierce a été le fruit d’un petit ressentiment contre les whigs. Ajoutons que le livre a paru d’abord par numéros détachés, juste au moment le plus vif de la lutte électorale pour la présidence. Quoi qu’il en soit, cette publication a son à-propos. Il ne nous est pas indifférent de connaître la vie du général Pierce, quelque obscure qu’elle ait été. Les fonctions dont l’ancien commandant de la milice de New-Hampshire vient d’être revêtu donnent de l’importance aux moindres actes de sa vie antérieure, et la situation des États-Unis, dont il va être le premier magistrat, rehausse singulièrement sa personne.

On sait quelle est cette situation au commencement de 18(3. L’influence des États-Unis grandit aussi rapidement que leur puissance matérielle. Ils ne vendent pas seulement à l’Europe leurs cotons et leur tabac, ils y exportent leurs principes. Dans toutes les grandes villes industrielles de l’Angleterre, à Liverpool, à Manchester, les Américains ont semé leurs idées républicaines, qui commencent déjà à germer; on a pu s’en apercevoir dernièrement par le discours de M. Bright au banquet offert à M. Ingersoll, le ministre américain. La politique de l’école de Manchester n’est guère autre chose que la politique américaine légèrement transformée. Liberté du commerce, extension du droit de suffrage, désirs d’égalité, décapitation progressive du pouvoir aristocratique, gouvernement transporté des classes nobles aux classes industrielles et bourgeoises, confiance illimitée dans l’énergie et dans l’activité individuelles; toutes ces ambitions, toutes ces convoitises et toutes ces idées des grands industriels des villes manufacturières ne sont autre chose que les ambitions, les convoitises et les idées des Américains, et sont encouragées, entretenues par eux. De plus en plus les citoyens des États-Unis agiront sur l’Angleterre avec le même zèle de propagande que les Anglais sur le continent. Contre tous les reproches qu’on peut leur adresser sur leurs excès et leurs injustices, ils s’arment des scandales, des abus et des injustices que le temps a engendrés dans les vieilles civilisations européennes. Si, par exemple l’Angleterre fait des adresses et tient des meetings pour déplorer les abus de l’esclavage, les Américains feront des adresses, ils tiendront des meetings pour déplorer les abus sous lesquels saigne depuis tant de siècles la malheureuse Irlande, et, triomphans des misères accumulées par les siècles dans notre Europe, Ils se proposeront résolument comme les patrons des peuples futurs, comme les modèles du gouvernement universel,

Si nous passons de l’influence exercée par les États-Unis sur l’Angleterre, c’est-à-dire sur un peuple frère, à leurs démêlés avec les états européens depuis deux ans, nous trouverons partout les marques de leur croissante ambition. L’Autriche a été insultée, la Russie conspuée, l’Espagne menacée, et toutes ces attaques ne sont cependant que les signes avant-coureurs de démêlés et de conflits plus graves. La doctrine du président Monroë sur l’exclusion légitime et nécessaire des Européens de l’Amérique est plus que jamais en faveur. Le discours du général Cass au sénat, prononcé sur le simple bruit d’une occupation par la France de la presqu’île de Samana, témoigne de la