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compatriotes, devançant sa réputation, l’entraîna pour un temps loin des cours de justice, et le jeta dans la vie politique. Attaché déjà au parti démocratique, il soutint avec ardeur la candidature à la présidence du général Jackson, et fut lui-même élu membre de la législature du New-Hampshire, dont il fut deux ans le président. A l’expiration de son mandat, la confiance de ses concitoyens croissant toujours, il fut élu représentant au congrès. Là, il se montra encore tel qu’il avait été dans sa jeunesse et dans les fonctions qu’il avait précédemment remplies, réservé et modeste, parlant peu, laissant la parole aux orateurs en renom et n’en rendant pas moins pour cela d’utiles services. Il était essentiellement ce qu’on peut appeler un homme de comité : c’était là qu’il brillait et qu’il faisait, sans grands frais d’éloquence, des remarques et des objections pratiques. Toutes les assemblées possèdent de tels hommes, et il n’est peut-être pas injuste de dire que ce sont ces personnes, dont la destinée est de rester obscures et dont les services sont presque toujours inconnus du public, qui font en réalité la besogne des assemblées et disposent les matériaux dont les orateurs s’emparent souvent comme de leur bien propre.

Plusieurs de ses opinions et de ses votes sur des questions aujourd’hui résolues sont mentionnés par M. Hawthorne; ainsi il soutint le vote du général Jackson sur le Mayurville road bill. Durant la présidence de Quincy Adams, les whigs avaient entrepris de poser en principe que les grands travaux d’utilité publique devaient être entrepris aux frais du trésor. C’est contre ce système de centralisation, comme on le sait, que réagit le général Jackson, dont Franklin Pierce fut à la chambre des représentans le défenseur constant. En général, M. Pierce avait peu de confiance dans les entreprises du gouvernement; il doutait de la puissance de la législation et de l’efficacité des mesures gouvernementales, même dans les matières qui paraissent devoir être le plus facilement réglées par l’action de bonnes lois, dans les questions de travaux publics et de commerce. C’est là ce qui fait en Amérique la force du parti démocratique; il se fie moins que le parti whig aux abstractions politiques, aux formules de lois; il a plus de confiance dans les libres mouvemens de la vie, dans les instincts spontanés de l’homme. Toutefois ce système poussé à l’extrême conduit, comme le système opposé, à des résultats également erronés, et M. Pierce a pu s’en convaincre par sa propre expérience. Ainsi il s’opposa à un bill pour la création d’une académie militaire, et plus tard, après la guerre du Mexique, en voyant les services rendus par cette académie, il dut reconnaître qu’il s’était trompé. Dès cette époque enfin, ses opinions étaient bien arrêtées sur la grande question de l’esclavage. Il était d’avis, dit M. Hawthorne, que les intérêts de l’Union ne devaient pas être mis en péril pour une question de philanthropie, et il n’a jamais varié depuis. M. Hawthorne approuve cette opinion, absolument comme s’il n’avait pas fait partie jadis de l’association de Brookfarm. Ainsi voilà un homme qui a rêvé le bonheur du genre humain tout entier, et qui trouve que l’esclavage a du bon. Ne vous fiez jamais à ces Anglo-Saxons; les mots ont toujours pour eux un autre sens que pour nous; ils sont pleins de contradictions et s’entendent à merveille à fouler aux pieds la logique, lorsque leurs intérêts sont menacés; avec eux, là où vous croirez rencontrer Platon, défiez-vous, — vous trouverez Hobbes.

En 1837, M. Pierce fut élu membre du sénat. C’est dans cette assemblée qu’il prononça son discours sur les pensions révolutionnaires; mais en 1840