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Dans l’administration même de la justice, la main de l’étranger apparaît à peine. Le Coran est le code suprême ; les juridictions inférieures sont indiennes. Le régent ou le chef du district, assisté du djekso, magistrat qui veille au maintien des lois, du panghoulou, premier prêtre mahométan, et de quelques mantris, hommes versés dans la connaissance de la langue, des institutions et des mœurs, — prononce en premier ressort sur les querelles légères, les discussions relatives aux irrigations, les différends dont la valeur n’excède point la somme de cent francs. Ces tribunaux d’arrondissement sont les justices de paix du pays. Au-dessus d’eux sont placés les conseils de campagne, qui tiennent leurs séances une fois par semaine au chef-lieu de la province. Devant cette cour de première instance, le djekso joue encore le rôle d’accusateur public; le panghoulou est également chargé de l’interprétation du Coran ; mais le résident préside, et le secrétaire de la résidence remplit les fonctions de greffier. L’instruction est orale et sommaire. La garantie d’un jugement équitable est dans le procès-verbal dressé séance tenante pour servir en cas d’appel. Il existe à Java, sous le nom de conseils de justice, trois cours d’appel dont la composition est tout européenne, et dont la principale mission est de déléguer un de leurs membres, qui prend alors le titre de juge de circuit, pour présider les assises ou tribunaux ambulatoires. Tous les trois mois, le juge de circuit se rend au chef-lieu de chaque résidence, y rassemble les chefs indigènes désignés par le gouverneur lui-même pour remplir ces importantes fonctions, et juge avec leur concours les crimes que la loi punit de la peine capitale. La haute cour de Batavia, tribunal suprême de la colonie, a seule le pouvoir de réformer les arrêts que ces tribunaux prononcent.

Quand on étudie de près cette grande machine administrative, quand on la voit fonctionner si régulièrement, avec si peu de bruit et d’efforts, ce n’est point seulement le génie pratique des Hollandais qu’on admire, c’est aussi ce besoin instinctif de discipline qui distingue les Javanais entre toutes les races orientales. Il ne faut point s’abuser cependant. Cette société mixte, qui semble graviter avec le calme des corps célestes dans leurs sphères, peut être jetée hors de son orbite par le moindre choc. Il existe dans ses élémens un défaut d’équilibre qui ne peut être racheté que par l’éloignement de toute cause perturbatrice. Ce n’est que par un commandement toujours grave, par un exercice ferme et mesuré de leur pouvoir, que quelques milliers d’Européens, disséminés sur un aussi vaste territoire que celui de Java, peuvent tenir en respect les masses qui les entourent. Il importait donc de prévenir, au sein de cette colonie florissante, tout prétexte d’agitation. Le bon sens du peuple hollandais a jugé le partage de l’autorité incompatible avec les nécessitée d’une