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habit étant ici de 4 livres sterling. » — « Que pensez-vous de ceci ? Lord Moira, qui est arrivé en ville hier (janvier 1801), est venu me faire une visite aujourd’hui en personne ; il a laissé sa carte. N’est-ce pas excellent ? » — « Il n’y eut jamais homme plus affairé que moi. Toujours en course. C’est trop. Je veux m’enfermer pendant quinze jours et annoncer que je pars pour la campagne. Je suis allé hier à un petit souper après l’opéra, où se trouvaient le prince et Mme Fitz-Herbert (c’était la maîtresse du prince de Galles). J’ai été présenté à cette dame. Je dîne demain chez lord Moira et vais le soir avec lady Charlotte à une assemblée chez la comtesse de Cork. Je vous assure que c’est très sérieusement que je pense à me cacher pendant quinze jours. » — « Comment vous portez-vous, ma très chère mère ? Avez-vous vu mon nom sur le journal parmi les listes de la société de la plupart des derniers routs ? C’est une sotte coutume adoptée ici d’imprimer les noms des personnes les plus distinguées qui ont assisté aux grandes soirées, et M. Moore, je vous assure, n’est point oublié. J’ai l’idée d’aller à Donington-Park m’enfermer pendant un mois, dans la bibliothèque du château. La famille est ici, mais lord Moira m’a dit que j’aurai toujours un appartement à Donington quand je le désirerai. » — « Je pars mardi. Je compte trouver une nouvelle veine d’imagination dans la solitude de Donington. J’espère que là, aidé d’une si belle bibliothèque, je pourrai produire quelque chose de mieux que mes premiers essais. J’ai dîné en famille chez lord Moira jeudi dernier. Il m’a dit que tout était prêt pour me recevoir à Donington. » — Quelques jours après, il écrit de Donington : « Le temps ne me pèse pas ici, quoique je sois si peu accoutumé à la solitude. Je me lève de bonne heure, je déjeune cordialement, je me promène, je chasse aux vieux livres, et je fais deux repas, pas moins. Le soir, je chante le soleil couchant comme un vrai pythagoricien, puis je me mets au lit, où je dors doucement, sans rêve d’ambition, quoique je sois sous le toit d’un comte. Tel est mon journal. » — « Voici trois semaines que je suis à Donington. Vous ne sauriez imaginer comme je suis devenu vermeil. Ces bonnes heures ont fait de moi un Adonis. Par pitié pour les Chloés, il faut que je me dissipe à mon retour en ville. »

J’ai cité tout au long ces enfantillages ; mais ce monde qui s’ouvre si complaisamment à un jeune homme de vingt ans, ce grand seigneur, cet homme d’état qui met ses livres et son château à la disposition du fils d’un petit commerçant de Dublin, n’est-ce pas un agréable tableau de l’hospitalité de l’aristocratie anglaise et de l’accueillante libéralité de la société de Londres pour les gens de lettres ? Dans la somptueuse et printanière solitude de Donington, Moore avait mis la dernière main à un petit volume de poésies légères. Il