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d’instabilité révolutionnaire restent debout et ne se laissent ni emporter à la démagogie ni abattre sous le despotisme, suivant le courant du jour ou la fatalité du moment. Il n’aimait pas la démocratie qu’il avait entrevue aux États-Unis, parce qu’elle lui paraissait oppressive pour la liberté des hommes distingués. Il détestait les excès de la révolution française pour le mal qu’ils avaient fait à la liberté. « Honte aux tyrans ! disait-il dans la mélodie :

Tis gone and for ever the light we saw breaking,

honte aux tyrans qui nous ont ravi ce bonheur (la liberté), et honte à la race légère, indigne de son bien, qui sur l’autel fumant de la mort, caressant comme les furies la jeune espérance de la liberté, l’a baptisée dans le sang ! Alors s’évanouit pour toujours cette belle et lumineuse vision dont l’image, en dépit des esclaves et des cœurs glacés, vivra longtemps pure, brillante, céleste comme d’abord elle se leva, mon Érin perdue, sur toi ! » Le souvenir vivant de la révolution française lui inspira un inguérissable dégoût pour toutes les agitations qui font appel aux passions ignorantes de la foule. Il savait que la démagogie est une des formes les plus viles de la servitude ; aussi ne fit-il jamais cause commune avec les Irlandais de l’école d’O’Connell. « S’il y a quelque chose au monde qui m’ait inspiré plus de mépris et de haine que quoi que ce soit depuis longtemps, écrivait-il en 1815, ce sont ces politiques de Dublin auxquels vous craignez de me voir associé. Je ne crois pas qu’une bonne cause ait jamais été gâtée par une clique de démagogues plus fanatique, plus braillarde et plus dégoûtante. Quoique ce soit la religion de mes pères, je dois dire que ce vil et grossier esprit doit être attribué en grande partie à cette misérable secte qui souille encore l’Europe de jésuitisme et d’inquisition, la plus étroite et la plus funeste de celles qui ont abruti l’humanité. Jugez si je suis en danger de m’unir à MM. O’Connell, O’Donnell, etc. » Mais le même sentiment qui faisait voir à Moore dans la démagogie l’avant-garde du despotisme, lui montrait dans les fauteurs du pouvoir arbitraire des provocateurs de révolution. Du moins en Angleterre les conditions essentielles de la liberté avaient été respectées : la liberté y était bien en pénitence sous la férule de lord Castlereagh ; mais les pacifiques efforts des libéraux avec lesquels marchait Moore ont suffi pour lui rendre, sans convulsion, le mouvement et la fécondité.

Moore, au retour de son excursion en France, alla s’établir près de Bowood. Il loua, pour 40 livres par an, tout meublé, le cottage de Sloperton, un vrai cottage couvert en chaume. Tout lui souriait : il commençait à goûter les agrémens de son nouveau séjour ; il se louait des attentions de lord et de lady Lansdowne pour sa femme