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venue d’ailleurs, peu d’années avant mon départ, raviver ces souvenirs de famille, et avait contribué à enfoncer plus avant encore dans mon cœur l’aiguillon de la curiosité. Nous avions rencontré à Paris un naturaliste allemand, le docteur Burger, qui avait suivi M. Van der Capellen à Java et M. Siebold dans l’intérieur du Japon. Le docteur Burger n’était point seulement un savant botaniste et un philosophe doué d’un profond esprit d’observation, il avait en outre le don si rare de rendre ses récits attachans. Sa jeunesse avait été laborieuse ; mais, comme le Beppo de Byron, il avait fini par amasser, au prix de mille périls, une fortune honorable et d’intéressans souvenirs.

Wkate’er his youth had sufferd his old age
Whit weath and talking made him some amends.

Je ne me lassais point de suivre en esprit l’aimable et bon docteur à travers les rues de Jédo ou d’errer avec lui au milieu des forêts vierges des tropiques. Les entretiens d’un pareil conteur auraient décidé ma vocation de marin, si j’avais encore eu le choix d’une carrière à faire. Réunis par les mêmes goûts et par une secrète sympathie, au bout de quelque temps le docteur Burger et moi nous étions devenus inséparables. Pendant tout un hiver, nous courûmes ensemble, comme deux écoliers, des bancs de la Sorbonne aux amphithéâtres du Jardin-des-Plantes. Quelques mois encore, et l’histoire naturelle comptait un adepte de plus. Le docteur Burger dut malheureusement retourner à Batavia, et il emporta tout mon zèle avec lui. En me quittant, il avait voulu conserver l’espoir de me revoir un jour dans cette belle île de Java dont si souvent il m’avait vanté les charmes. Un singulier enchaînement de circonstances allait réaliser, après quatre années d’attente, ce vœu amical.

Dès que l’écueil du Brill fut dépassé, la mousson nous fit franchir en cinq jours les 250 lieues qui séparent les côtes de Célèbes de la rade de Batavia. Déjà les îlots d’Edam et d’Alkmaar se montraient à l’horizon, et nous nous flattions de gagner le mouillage avant le coucher du soleil, quand le calme vint nous surprendre. Nous parvînmes cependant à nous traîner, avec un dernier souffle de brise, jusqu’à la hauteur de la pointe de Krawang, qui servit longtemps de limite aux possessions de la compagnie. Nous laissâmes alors tomber l’ancre pour attendre le jour, et vers huit heures du matin nous déployâmes de nouveau nos voiles. La brise du large ne tarda point à s’élever, marquant d’un cercle noir une partie de l’horizon, et jetant de toutes parts sur la surface jusqu’alors immobile de la baie les empreintes d’une griffe invisible.

La baie de Batavia ne ressemble point à la mer intérieure qui baigne la plage de Manille ; elle ne rappelle ni la rade foraine de Menado,