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de verve humoristique, d’observation ingénieuse, d’excellente littérature, peuvent chez l’homme d’action jaillir en un moment d’une veine ignorée jusqu’alors. L’ouvrage du comte Schoenhals offre un nouvel exemple de ce genre. Seulement Goergey, ainsi que d’ordinaire il arrive aux individus dont le rôle, après tout, reste équivoque, Goergey est plus personnel. Il raconte en quelque sorte en homme préoccupé de se justifier, et son observation des faits ne s’étend jamais beaucoup au-delà de sa propre circonférence. Le général Schoenhals au contraire, cœur austère et loyal, esprit droit et que l’amour du vrai possède seul, s’efface tout entier devant le récit et l’appréciation des évènemens. Tandis que l’un laisse parler sa passion et ses haines, l’autre ne s’inspire que du pur sentiment de son patriotisme, et si Goergey a composé de ravissans mémoires, le général Schoenhals, on peut le dire, a fait un livre d’histoire. Au reste, il faut le reconnaître à l’honneur de l’armée autrichienne, le mouvement régénérateur de 1848, déjà si fécond sur les champs de bataille, a suscité en elle, dans les régions de l’intelligence, nombre de remarquables productions. Les titres ne me manqueraient pas si je voulais citer, et je me contente de nommer en passant l’ouvrage si substantiel, si plein d’intérêt sous sa forme didactique, du colonel Saint-Quentin : A notre armée (Unserer Armée), les écrits si judicieux et si recommandables du vicomte Corberon, l’ami de cœur du noble Jellachich.

Ces commentaires du général Schoenhals ont à mes yeux le très enviable mérite d’offrir en deux volumes l’exposé le plus lucide et le plus frappant de l’état de l’Europe pendant la crise révolutionnaire de 1848 et 1849. Dans ce livre, où l’Autriche et son armée occupent naturellement la première place, aucun pays n’est oublié, et c’est surtout dans ses excursions épisodiques à l’étranger que le noble écrivain, par son intelligence des faits, par la courtoisie de son langage, gagne du crédit sur son lecteur. Comment celui qui connaît si bien et juge avec tant de mesure ce qui se passait chez les autres à la même époque, n’aurait-il point, en effet, complète autorité pour nous parler de ce qu’il a vu ? Quant à sa manière d’apprécier les principaux acteurs du drame qu’il raconte, on peut s’en fier là-dessus à la sûreté de son coup d’œil. Ce n’est pas lui qui refusera de reconnaître le talent et la supériorité chez ses adversaires, ces talens, d’ailleurs, ne dussent-ils s’exercer jamais qu’au préjudice de la cause qu’il défend. L’opinion que le comte Schoenhals exprime au sujet de Mazzini est sur ce point significative. Chaque fois que le cours de son récit le ramène en présence de cet homme, il l’étudie et l’analyse avec une impartialité calme, et toujours des quelques phrases qu’il lui consacre ressort la haute idée qu’il a des éminentes facultés de son adversaire, « d’un homme, ajoute-t-il, sur lequel