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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/697

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la fin à ne vouloir pas reconnaître. Cette audace qui la veille, à Mortara, avait si magnifiquement décidé la victoire, il allait la payer de son sang, du sang de tous ses braves, plutôt que de condescendre à s’en accuser comme d’une faute militaire.

Qu’on s’en soit ou non, du côté des Piémontais, exagéré l’importance, bataille ou combat, cette rencontre de Goïto fit plus d’un illustre blessé. Charles-Albert y reçut un éclat d’obus, le roi de Sardaigne actuel, alors duc de Savoie, un coup de feu dans la cuisse. Ce fut là aussi, et non point à Curtatone comme on l’a prétendu, que le prince Félix Schwarzenberg, à la tête de sa division, eut le bras fracassé par une balle. Physionomie remarquable que celle de cet homme d’état au camp de Radetzky ! La vie du prince Schwarzenberg, quand on y pense, est une des mieux remplies qui se puissent voir. Tout y vient à son heure, à son point. Homme de plaisir, grand seigneur, diplomate, soldat, premier ministre, il sut toujours combiner et fondre en de justes proportions certaines qualités particulières à ces divers états. Chez lui, le soldat toujours un peu se ressentit du négociateur, le diplomate du guerrier, le tout sans préjudice de l’homme de plaisir, du grand seigneur libertin qui jusqu’à la fin brocha merveilleusement sur l’ensemble. Après avoir, sous un couvert diplomatique qui ne messied pas, fort occupé le monde du bruit de ses galantes équipées, la campagne d’Italie survint très à propos pour opérer une diversion devenue nécessaire dans une existence qui depuis mainte aventure par trop romanesque commençait à tourner au scandale. Tel il avait été dans les boudoirs de Naples, de Londres et de Paris, tel il fut plus tard dans son cabinet du palais de la chancellerie à Vienne, — et tel il se montre sur les champs de bataille, impassible, dédaigneux, superbe. Son visage avait quelque chose de glacial qui déconcertait, même alors qu’il affectait son expression la plus aimable, et vous vous demandiez, à voir ce corps si long et si maigre que l’étroitesse de son attila militairement boutonné rendait encore plus efflanqué, à voir ces traits pâles et durs, où se peignait, à côté d’une ironie hautaine, le sentiment de la plus inflexible personnalité, — vous vous demandiez par quelle inexplicable force d’attraction cet homme, sans jeunesse, sans beauté, sans agrément, agissait ainsi sur la plus séduisante moitié du genre humain. Pour grand seigneur et brave, il l’était, qui en doute ? mais les Lobkowitz, les Windisch-Graetz, les Lichtenstein aussi sont des braves, et de très grands seigneurs. Quel charme particulier possédait-il donc, ce prince Schwarzenberg, pour qu’on le préférât aux plus beaux, aux plus vaillans, aux plus jeunes ? Quel était son secret pour entraîner tant de cœurs à sa suite ? car, cet homme étrange, on ne se contentait pas de l’aimer, on l’adorait jusqu’à