Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont épuisés en travaux stériles, et, toutes les fois qu’ils se sont mis à l’œuvre, ils n’ont abouti qu’à l’impossible ! A quelles causes faut-il attribuer ces tristes déceptions ? Voilà ce qu’il importe de rechercher avant de procéder à de nouvelles expériences. À ce point de vue, il était indispensable de rappeler les différens systèmes qui ont été successivement proposés et discutés en d’autres temps.

Lorsque la monarchie de juillet, obéissant à une pensée nationale, eut résolu de créer, à l’exemple de l’Angleterre, des lignes de paquebots transatlantiques, elle craignit que l’industrie ne fût pas assez avancée, assez hardie pour exploiter une navigation aussi coûteuse. Il y avait d’ailleurs à cette époque, une certaine défiance contre le prétendu monopole des compagnies. Le gouvernement offrit d’abord de construire les navires dans ses arsenaux et de se charger de l’ensemble des services (à l’exception de celui du Havre à New-York). Cette combinaison lui fournissait le moyen d’obtenir du pouvoir législatif, ordinairement peu flexible en matière de finances, les crédits nécessaires pour ajouter à la flotte une escadre de bateaux à vapeur. Les crédits furent votés ; mais les navires, construits plutôt pour la guerre que pour la course, ne possédaient point les qualités requises pour les traversées rapides, et ils durent être purement et simplement inscrits dans les cadres de l’effectif militaire. On dépensa donc de fortes sommes sans atteindre le but désiré, ou tout au moins avoué par l’exposé des motifs du projet de loi de 1840. On reconnut en outre que l’état se montre en général peu habile à diriger de semblables entreprises. Il serait superflu d’insister sur ce fait, qui est aujourd’hui consacré par l’expérience, et qui, après de longues discussions, est devenu un principe d’économie sociale. Les Anglais surent éviter les deux écueils sur lesquels se brisèrent nos premiers efforts : ils confièrent à des compagnies commerciales fortement organisées l’exploitation des lignes, et, dans la construction des paquebots, leurs ingénieurs se préoccupèrent principalement de la vitesse à obtenir, sans négliger l’éventualité d’un service militaire. Ils réussirent ; la France, qui avait agi en sens inverse, échoua.

Ce n’est pas tout. Lors de la discussion des projets de 1845 et 1847, le gouvernement et les chambres se donnaient beaucoup de peine pour tracer sur l’Océan, dans les directions les plus favorables, les lignes principales et les embranchemens : ils fixaient le tonnage et la force des navires ; ils déterminaient les conditions du trafic ; ils multipliaient les articles du futur contrat, et chaque article contenait d’ordinaire une obligation ou une servitude à la charge des concessionnaires. Malheureusement ce travail était nul, car les concessionnaires n’existaient pas. On dressait un plan idéal où tout était prévu, ordonné, réglementé : il n’y manquait qu’une compagnie pour le débattre, l’accepter et l’exécuter, de sorte qu’après de consciencieuses études la question pratique n’avait point fait un pas. Est-ce ainsi que l’on organise des opérations aussi vastes ? A quoi bon multiplier de gaieté de cœur des difficultés qui sont déjà si grandes, en se liant les mains par la rédaction prématurée d’un cahier des charges inflexible comme la loi ? Il n’y avait alors et il n’y a encore aujourd’hui qu’un seul mode praticable. Le gouvernement doit provoquer les propositions des compagnies pour l’exploitation des lignes que l’intérêt public commande d’établir : il examine les divers projets, se met en rapport direct avec ceux qui les ont émis, et discute avec soin les offres qui lui paraissent