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imposées d’inflexibles nécessités. Cette histoire nous indique la voie où tend à s’engager de plus en plus la politique coloniale de la Hollande. L’occupation restreinte vis-à-vis de peuples sauvages, il faut bien se l’avouer, n’est qu’un rêve. Les Hollandais dans la Malaisie, les Anglais sur le continent indien, comme au cap de Bonne-Espérance, les Français en Afrique, se sont vus également contraints d’étendre leurs conquêtes au de la de leurs désirs et de leur ambition. La domination européenne ne sera solidement assise dans l’archipel indien, elle ne portera tous ses fruits bienfaisans que le jour où tant de royaumes divisés, tant de fragmens d’autorité conquis par de misérables pirates qui ne vivent aujourd’hui que d’exactions et de rapines, auront disparu dans la grande unité politique dont Java est le centre. C’est vers ce but que la Hollande doit marcher et que tous nos vœux la convient. Sans l’influence du gouvernement néerlandais, sans son autorité active, sans l’organisation qui est son ouvrage, les peuples de Sumatra et de Célèbes retomberaient dans le chaos de leur anarchie. La Hollande, il est vrai, rassurée sur la possession de Java, ne croit point les autres parties de son empire si bien cimentées qu’une guerre maritime ne pût les détacher de sa domination au profit d’une autre puissance. Elle se sentirait donc disposée à concentrer ses efforts à Java, comme, en cas de guerre, elle y concentrerait ses moyens de défense; mais cette politique timide, si elle pouvait un instant prévaloir, amènerait un jour ou l’autre de dangereuses complications. L’Europe, encombrée d’une population toujours croissante, trop à l’étroit dans ses anciennes limites, ne tarderait point à contester à la Hollande la possession d’un champ que cette puissance n’oserait défricher. L’audace, dans certains cas, peut donc être de la prudence; je ne crains point de la conseiller à l’Espagne et à la Hollande. L’héroïsme des siècles passés leur a ouvert un immense domaine. Qu’elles suivent d’un effort commun cette voie fructueuse ! Leur intérêt est de s’entendre et de s’unir. J’ajouterai que le nôtre est de les défendre. Il faut prévoir le jour où la race anglo-saxonne, rapprochée par ses affinités secrètes, ne fera plus qu’un seul peuple sous deux gouvernemens divers. Assise d’un côté sur la rive occidentale du Nouveau-Monde, de l’autre sur les bords du continent indien, cette race envahissante régnerait sans partage dans les mers de l’extrême Orient, si la sagesse de l’Europe ne songeait à lui opposer comme barrière l’indépendance des Indes néerlandaises et celle des colonies espagnoles. Tout ce qui se rattache à l’avenir de ces riches possessions a donc un intérêt européen ; c’est à l’Espagne et à la Hollande de juger de quel côté sont leurs alliés véritables et leurs protecteurs naturels.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.