18 septembre.
Je reprends le bateau à vapeur, je traverse de nouveau le lac Michigan, et j’arrive à New-Buffalo trop tard pour pouvoir partir ce soir même par le chemin de fer de Détroit. Nos bagages sont délivrés immédiatement au bureau, et demain, à six heures du matin, nous nous mettrons en route avec eux pour Détroit.
Il n’y a pas moyen d’avoir un lit ou même un matelas pour cette nuit. On nous entasse dans une immense salle à manger, nous et les passagers d’un autre bateau à vapeur qui part demain matin dans la direction de l’ouest. Ces passagers sont surtout des émigrans, compagnons de chambrée assez bruyans et assez peu policés. Pour moi, je place, pour me servir d’oreiller, un petit sac de cuir, où sont mes notes et mes livres, sur une table au-dessous d’une lampe suspendue au plancher ; je tire du sac un roman anglais, je me mets à lire, couché sur ce lit un peu dur, jusqu’à ce que les hommes aient cessé de parler, les femmes de gronder leurs enfans, les enfans de crier, et alors je tâche de dormir. Je suis réveillé un peu incivilement par le garçon de la taverne, qui me jette une serviette dans le ventre en me criant : Allons, camarade, éveillez-vous ! Il est vrai qu’il avait à servir le café sur cette table où j’étais établi, et que tout le monde était debout depuis longtemps.
En grondant un peu contre la rudesse des subalternes aux États-Unis, je me mets en marche vers la station du chemin de fer, où nos effets ont été déposés la veille au soir. Dans le trajet, l’incurie américaine pense m’être fatale : une caisse lancée sur un plan incliné, sans dire gare, selon l’usage, vient passer à deux pouces de mes jambes, qu’elle aurait brisées, si elle m’eût atteint. C’était le jour des mésaventures : je ne trouve à la gare ni locomotive ni aucune apparence de départ. Je demande si le train va bientôt partir, on me répond qu’il partira dans vingt minutes, sans autres explications. Les Américains ont horreur des explications.
Le temps s’écoule, et je ne vois rien venir. Enfin j’avise quelques voyageurs qui marchaient d’un pas précipité. Je les interroge, et j’apprends que les trains vont partir non pas de l’endroit où ils s’étaient arrêtés il y a quatre jours en venant de Détroit, mais d’un autre point situé à un quart de lieue. On avait reçu nos bagages sans avoir l’idée de nous avertir de cette disposition, grâce à laquelle il s’en est fallu d’une minute que je n’aie manqué le convoi, qui aurait emporté mes malles au bord du lac Erié. Je raconte ces petits incidens, qui doivent intéresser médiocrement le lecteur, et je raconterai toutes les contrariétés de ce genre qui me surviendront, parce qu’elles peignent le caractère national, qui se retrouve dans les plus petites choses