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Ma santé, qui ne se remet point, augmente peut-être ma disposition chagrine. J’ai passé tout ce jour en chemin de fer sans manger, car je me rappelais trop l’exécrable chère que j’avais faite dans les stations où l’on s’arrête pour les repas. Il est vrai que l’on traverse des forêts à peine défrichées ; mais, puisqu’il y a un chemin de fer, il semble qu’il pourrait y avoir de quoi dîner.

À Détroit, je n’ai que le temps de monter sur l’Arrow (la flèche), bateau à vapeur dont le nom pourrait être la devise d’un voyageur aux États-Unis. Avec le jour, je débarque à Sandusky, et prends presque aussitôt le chemin de fer de Cincinnati, où j’arrive à la nuit. J’ai fait à peu près deux cents lieues depuis hier matin, et ne m’en trouve pas mieux.


Cincinnati, 20 septembre.

Je me lève tard, un peu faible et triste, et je marche au hasard dans les rues droites et spacieuses de la reine de l’ouest. Le temps est assez froid, le vent aigre, le ciel gris ; ma première impression n’est pas gracieuse. Je descends au bord de l’Ohio. Les eaux de la Belle-Rivière sont basses ; sur ses deux bords s’étendent de grands espaces ordinairement recouverts par elles, et qui ont cet air de marais à demi desséchés que présente le rivage de la mer pendant le reflux. Pas de quai au bord du fleuve, trop peu de ponts. Les ponts ici sont les nombreux bateaux à vapeur qui passent sans cesse d’un bord à l’autre, rompant le silence du dimanche par leur essoufflement. Je remonte dans la ville. Les rues portent des noms d’arbres : le nom du châtaignier, du noyer, du pin, ce qui semble un souvenir des forêts qu’elles ont remplacées. Plusieurs sont belles et plantées. L’horreur de l’inutile et par suite l’amour de l’abréviation ont fait retrancher le mot street (rue) sur les écriteaux. Les trottoirs, en larges dalles, s’interrompent parfois brusquement ; on sent une capitale fabriquée à la hâte et qui n’est pas finie. Je descends derrière la ville, je trouve des faubourgs en construction, et par de la les faubourgs des hauteurs dépouillées, où restent quelques troncs à demi brûlés, comme dans les défrichemens, et quelques arbres que la hache a respectés ; lieux d’un aspect triste et pénible à voir : ce n’est plus la campagne, mais ce sera bientôt la ville. Cincinnati, cité de 116,000 âmes, compte environ une demi-année pour chaque millier d’habitans, et renferme, dit-on, un citoyen plus vieux qu’elle. Elle augmente toujours avec une grande rapidité, car elle a plus que doublé depuis dix ans. Communiquant par les chemins de fer avec les lacs, par l’Ohio avec le Mississipi, elle est le point central du commerce intérieur des États-Unis.

On appelle Cincinnati la reine de l’ouest ; elle est la capitale de ce