la ville artistique et scientifique de notre république, comme le centre de la culture et du goût des arts, et par conséquent de la population la plus perfectionnée de notre continent. » C’est beaucoup dire, Boston et Philadelphie pourraient réclamer. Cependant il y a là, je crois, quelque chose de vrai en ce qui concerne les arts ; le paysage est particulièrement essayé dans cette ville déjà un peu méridionale, dans ce pays dont j’admirais hier la belle lumière. Le sculpteur Powell, dont la statue de la jeune Esclave a été remarquée à Londres dans le Palais de Cristal, est de Cincinnati. Seulement, comme on l’a remarqué, il était singulier que le spécimen de la sculpture américaine fût une esclave. Pour les états libres, c’était un contre-sens ; pour les états où subsiste l’esclavage, une épigramme trop méritée. La statue est gracieuse, malgré quelques défauts ; s’il y a un art où les Américains aient réussi, c’est la sculpture.
Outre M. Powell, M. Greenough, dont j’ai vu l’atelier à Florence, et M. Crawfurd, qui vit à Rome, sont des hommes de talent. Ce fait peut, je crois, s’expliquer. La sculpture est un art en dehors des mœurs modernes ; c’est presque toujours plus ou moins une imitation de l’antique. Or l’Europe n’est pas plus semblable à l’antiquité que l’Amérique. Pour toutes deux, l’idéal de la statuaire est une tradition, qui peut leur être commune. L’infériorité artistique des États-Unis se fait sentir principalement dans l’architecture, où il faut créer de nouveaux types pour des besoins nouveaux. C’est là que l’invention est indispensable ; mais il n’y a pas de raison pour qu’un homme né aux bords de l’Ohio ne s’inspire aussi bien qu’un homme né au bord de la Seine ou du Rhin en présence des mêmes modèles. Seulement il faut pouvoir étudier ces modèles ; pour y parvenir, il suffit d’un voyage en Italie, et les bateaux à vapeur sont là pour rendre ce voyage facile, même à un habitant de Cincinnati. C’est à Rome que s’est formé M. Powell ; il était pauvre, et son début fut, dans sa première jeunesse, des plus bizarres et des plus incroyables. La chose vaut la peine d’être racontée.
Les Américains ont la mauvaise habitude de donner aux choses des noms trop pompeux, surtout à celles où ils excellent le moins. Dans ce pays, où ce qui manque surtout, c’est la haute culture littéraire, il y a beaucoup d’académies, mais on appelle ainsi des écoles ou des collèges, tandis qu’un muséum est souvent une collection de bric-à-brac où l’on donne des représentations dans lesquelles figurent des faiseurs de tours ou des funambules. Il y a à Cincinnati un muséum. Ce muséum renferme, il est vrai, outre mille objets insignifians, quelques antiquités curieuses déterrées dans les tertres dont je parlerai bientôt. J’y ai vu même une petite figure égyptienne qu’on dit avoir été trouvée sur une des pyramides mexicaines, ce qui serait