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et à l’aide de quelques notes prises par lui, à l’aide du maigre sommaire donné par les autres journaux, il parvenait à reconstruire un débat tout entier. Le Chronicle ne paraissait que le soir, à cause du travail prodigieux imposé à un seul homme ; mais il donnait seul une vraie séance, et il était fort recherché pendant toute la session. Perry lui enleva cet avantage du premier coup; il envoya à la chambre plusieurs sténographes qui se relayaient tour à tour, et, grâce à cette combinaison, il publia des comptes-rendus plus complets que le Chronicle, et il les publia dès le matin, au lieu de les faire attendre jusqu’au soir. Il ruina le Chronicle dans le cours d’une seule session, et, après l’avoir ruiné, il l’acheta en 1789, avec le concours de quelques amis qu’il s’était faits, et qui avaient confiance en sa capacité.

Maître du Chronicle et disposant librement d’un grand journal, Perry consomma la révolution qu’il venait d’opérer dans la presse. La curiosité du public, l’amour-propre des orateurs, les passions politiques lui vinrent en aide; l’étendue et l’exactitude des comptes-rendus du parlement et de toutes les assemblées furent désormais au nombre des conditions d’existence d’un journal. Non-seulement Perry attacha plusieurs sténographes au Chronicle, mais, pour ne les pas voir se disperser après chaque session et pour s’assurer le concours de collaborateurs expérimentés, il les engagea à l’année. Par ces mesures habiles, il mit son journal en réputation pour la fidélité de sa sténographie, et pendant bien des années le Chronicle fit autorité, lorsque l’on voulait citer les paroles d’un orateur ou y faire allusion.

Ce n’est pas là la seule innovation due à Perry. Jusqu’à lui, un journal avait été l’œuvre d’un seul homme, et habituellement de son propriétaire. Nous venons de voir que William Woodfall avait été le propriétaire, le rédacteur en chef et le sténographe du Chronicle. Perry, homme du monde, mêlé à beaucoup d’entreprises, propriétaire et amateur d’agriculture, éditeur d’ouvrages, n’aurait pu suffire au fardeau. Il sépara la direction et la rédaction du Chronicle. Il se réserva l’administration du journal, dans lequel il n’écrivit plus que rarement, et il en laissa la rédaction à un de ses compatriotes nommé Gray. Après Gray, la rédaction en chef fut confiée pendant plusieurs années à Spankie, qui est devenu un des jurisconsultes les plus estimés de l’Angleterre, mais qui ne répondit pas à l’attente de Perry, Spankie, selon Perry, méconnaissait le caractère essentiel d’un journal, qui est la variété. Après Spankie, le principal collaborateur de Perry fut encore un Écossais, M. Black, qui devint rédacteur en chef du Chronicle après la mort du propriétaire et conserva ces fonctions jusqu’en 1843. M. Black était un grand humaniste qui avait débuté dans les lettres par de nombreuses traductions, et qui se délassait de ses travaux quotidiens par l’étude assidue des classiques grecs. Perry lui-même était plein d’esprit et de verve; comme journaliste, il avait le style de la conversation élégante, et s’il ne prenait pas les questions par leur côté le plus élevé, il les traitait au point de vue du bon sens et de la pratique et avec un jugement des plus sûrs. Il parlait infiniment mieux qu’il n’écrivait; il avait fait ses preuves dans les sociétés de discussion, qui étaient alors à la mode et que hantaient volontiers les hommes politiques, sans excepter William Pitt. Deux fois on offrit au journaliste puissant et à l’orateur habile d’entrer au parlement; mais Perry, qui aimait son métier, refusa obstinément. La