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REVUE DES DEUX MONDES.

peine en effet s’il leur a accordé quelques-unes des nombreuses libertés qu’il leur avait promises lorsqu’il avait si grand besoin de leur concours. Aujourd’hui il espère leur donner le change en les berçant de l’espoir d’affranchir leurs frères, les raïas de la Turquie d’Europe. On a vu en effet que c’est à Jellachich, serviteur zélé, depuis deux ans en disgrâce, mais dont le nom est aujourd’hui nécessaire pour produire l’effet voulu, c’est à Jellachich que l’on a donné le commandement du corps d’armée chargé de surveiller la frontière ottomane. L’Autriche néanmoins ne saurait trop, éviter d’intervenir par les armes dans les troubles qui agitent en ce moment une partie de la Turquie. Jouer avec une insurrection quelconque, c’est jouer avec le feu, et s’il est un pays qui ne puisse pas se permettre ce jeu-là sans danger, c’est peut-être l’Autriche. En déclarant, par l’organe de la Gazette de Vienne, que la mission du prince de Leiningen était une mission pacifique et conciliatrice, le gouvernement de l’empereur François-Joseph a donné un gage de la modération intelligente qu’il continuera de porter, on aime à le croire, dans ses rapports avec la Turquie.

À Constantinople, la publication du nouveau firman relatif à l’administration du pays a causé d’abord de vives inquiétudes. On a craint, dans le premier moment de surprise, que la charte de Gulhané ne fût menacée dans ses principes mêmes. La politique incertaine que le ministère suit depuis quelques mois entre les idées du parti de la réforme et celles du vieux parti turc semblait justifier ces craintes. Le nouveau firman n’a pas cependant le caractère fâcheux qu’on s’était trop pressé de lui attribuer. Il n’a pour but que de centraliser l’action du pouvoir et de resserrer les forces des administrations provinciales, jusqu’alors trop éparpillées et sans unité. Il profitera à la fois aux gouverneurs des provinces, qui tiendront désormais sous leur main tous les agens secondaires de leur ressort, et à l’autorité centrale, devant laquelle les gouverneurs seront seuls responsables pour leurs propres fautes, comme pour celles de leurs agens. En un mot, une plus grande unité régnera dans l’administration, et la responsabilité, en se simplifiant, deviendra plus réelle. Tels sont les points saillans du nouveau firman. Pour en juger plus à fond, il faut en attendre les conséquences. Puisse-t-il servir à réparer les fautes qui ont été commises depuis quelques mois en Turquie !

Ch. de Mazade.


REVUE MUSICALE.

La saison musicale se développe, cette année, avec une grande richesse d’incidens. Une fièvre de distractions s’est emparée de la société parisienne. Les réunions des gens de loisir et de goût, vivant des mêmes idées, aspirant au même but, se multiplient. On s’assemble, on cause, on s’entend, et, en se voyant, en si nombreuse compagnie, participer aux mêmes jouissances de l’esprit, on se raffermit dans cette pensée, que rien de grand et de durable ne peut se faire en France en dehors des classes éclairées, qui sont les dépositaires de la civilisation européenne.