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Le sentiment religieux, toujours présent, donne au livre de M. Scharling sur la vie de Molinos une valeur plus grande encore que celle qu’il emprunte à l’étendue et à l’exactitude des documens nouveaux rassemblés par l’auteur. C’est ce même sentiment, souvent profond, presque jamais mystique, chez les écrivains danois, qui a plus d’une fois inspiré les poètes contemporains. Il a dicté tout récemment à M. C.-H. Thurah une intéressante paraphrase du Cantique des Cantiques, Sarons Rose. Nous le retrouvons surtout comme le trait principal d’un curieux poème : l’Adam Homo, de M. Paludan-Muller. M. Muller s’est surtout appliqué à donner, dans son récit presque épique, une peinture exacte et piquante de la vie réelle ; mais, malgré les spirituelles couleurs et la finesse de son pinceau, souvent satirique, j’aime mieux relever d’abord ce que la pensée religieuse donne d’élévation à sa conception poétique. Adam Homo, après une enfance naïve et un pur amour contracté au village, voit la ville et le grand monde ; il y perd ses croyances et le sentiment d’une passion qui était généreuse et que partageait la douce Alma. Ses aventures dissipent ses belles années et lui ravissent, après l’espoir du bonheur, celui de la fortune. Il retrouve à son lit de mort cette Alma qu’il a abandonnée, qui s’est vouée au soin des malades, et qui, devenue son bon ange, inspire les dernières comme les premières pensées de son âme. Il meurt avec la conscience amère d’une vie perdue, il meurt misérable, mais du moins il emporte aux cieux le souvenir de cette amie qu’il avait délaissée sur la terre. Alma le suit elle-même de près, et ici vient se placer, dans le douzième et dernier chant, l’épisode le plus curieux du poème. Adam Homo est appelé pour le jugement. L’avocat de l’enfer vient l’accuser, et son plaidoyer est une curieuse satire de la société mortelle au milieu de laquelke Adam a vécu. Un céleste avocat défend sa cause, l’excuse en rappelant sa bonne volonté, ses bonnes intentions, difficiles à mettre en pratique entre tous les périls de la terre. Les argumens de l’accusation l’emportent ; déjà l’âme coupable se sent entraînée par la force irrésistible du châtiment vers les ténèbres éternelles, quand tout à coup brille à ses yeux une belle étoile ; elle approche : c’est l’âme d’Alma, qui vient d’échapper à ses liens mortels ; elle aussi vient plaider la cause de celui qui l’a aimée, ou plutôt elle l’absout et le sauve en s’offrant pour lui, en déversant sur lui les mérites de son véritable et constant amour, de son dévouement et de son sacrifice, et elle l’entraîne victorieuse vers le purgatoire, d’où elle saura encore lui faire conquérir les cieux. — Voilà l’issue singulière de cette épopée, inspirée plus d’une fois par la vraie poésie. Elle a surpris, elle a ému les compatriotes protestans de M. Paludan-Muller. Nous ne voyons cependant pas que, pour s’être approchée du dogme catholique, elle se soit éloignée du type éternel de l’élévation poétique et de la beauté morale.

L’esprit de nationalité, plutôt que l’idée religieuse, a guidé M. Goldschmidt dans la composition de son roman le Juif. Son héros abandonnerait sans doute la loi de Moïse, si ses coreligionnaires n’étaient persécutés. Ce spirituel ouvrage nous fait connaître une des faces, non la moins singulière, de la question religieuse dans le Nord. Le sentiment d’une nationalité menacée récemment et sauvée par des prodiges de valeur est devenu d’ailleurs pour le