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par ces préjugés populaires qu’un orgueil savant prétendait dissiper comme des rêves. Bien loin que la vérité fût nouvelle, l’antique seul était vrai, et toutes les nouveautés n’offraient qu’erreur ou ignorance. Cette prétention de la raison à découvrir seule et par elle-même la vérité est le rationalisme ou la raison philosophique. Dès le temps du paganisme, celle-ci avait pour antagoniste la raison religieuse de l’humanité ou la tradition permanente des vérités primitivement révélées. Depuis la chute des faux dieux, la religion universelle et perpétuelle, c’est le catholicisme. La science, la philosophie, si elle veut atteindre la vérité, n’a pas à la chercher ailleurs, ou plutôt elle ne doit pas la chercher, elle doit la prendre là où elle est toute trouvée, la recevoir de qui la possède. Quand la raison cherche, elle est perdue. La raison inquisitive, c’est la raison philosophique, c’est-à-dire quelque chose qu’on ne peut qualifier que par des épithètes outrageantes. La raison catholique, c’est la raison qui sait qu’elle n’est bonne qu’à exposer, non à chercher la vérité ; qu’elle doit être non inquisitive, mais démonstrative. Telle est en effet la philosophie chrétienne ; car il y a une science, une philosophie légitime, en d’autres termes un légitime emploi de la raison. Il ne suffit pas d’avoir établi que la philosophie toute seule n’apprend rien, que la vérité est révélée d’en haut, que cette révélation universelle et perpétuelle dans l’humanité est comme en dépôt dans l’église catholique ; il faut ajouter et montrer que la révélation, la tradition, la religion, le catholicisme a produit une philosophie. C’est la théologie scolastique, ou plutôt c’est la philosophie de saint Thomas d’Aquin. Ce dernier point est en France le côté original ou du moins particulier de la doctrine du père Ventura. C’est par là qu’il a étonné les esprits et produit un effet de nouveauté dans le clergé même. Au milieu de l’ignorance universelle, de ce déclin des études sérieuses, sous un reste d’influence de l’esprit du dernier siècle, sous l’empire des méthodes et du langage modernes, aucune école, et l’église elle-même, ne voulait ou n’osait, ou ne daignait relever publiquement l’étendard des doctrines du moyen âge. Il en résultait, il faut bien l’avouer, une lacune dans l’enseignement ecclésiastique. Ostensiblement du moins, il y manquait une philosophie. Par la nature des choses, en créer une nouvelle était interdit, et parmi toutes celles qui datent de la révolution cartésienne, il était dangereux de choisir, pour ceux-là du moins qui ont déclaré une mortelle guerre au principe même de la philosophie moderne. La conséquence était donc de remonter à ce moyen âge dont on célébrait déjà si complaisamment les arts, les mœurs et l’histoire. Dans ce recueil même, cette réaction a été habilement décrite et jugée ; mais nous devons avouer qu’à certains égards, elle était logique et naturelle. Lors donc