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langage, entre eux et les philosophes la discussion ne serait pas longue. Jamais homme de sens ne contestera à l’église le droit de soutenir la doctrine que voici : — Les vérités fondamentales de toute croyance religieuse peuvent être connues par les recherches de la raison ; mais si elles ne pouvaient être connues que par cette voie, la longue durée, la difficulté d’une telle étude, la diversité des esprits, l’imperfection ou la paresse de l’intelligence, les préoccupations et les travaux nécessaires à la vie, ne permettraient d’acquérir que lentement, rarement, une science sans uniformité. Ce sont là de sérieux inconvéniens, et c’est pour les éviter que la vérité touchant les choses divines a dû être révélée aux hommes sous une forme invariable. C’est là, non par des argumens d’une évidence mathématique, ainsi qu’on l’avait promis, mais par de solides motifs, établir l’utilité de la foi ou plutôt de la révélation. C’est de la révélation qu’on peut dire en effet qu’elle n’a pas les lenteurs, les ambiguïtés, les inégalités d’une science humaine : ce n’est point de la théologie, qui est aussi difficile, aussi longue à étudier qu’aucune science humaine, et qui est comme elle exposée à des variations et à des erreurs. Mais dans ces considérations, que nous empruntons à saint Thomas, la raison ni la science ne sont niées en elles-mêmes, et rien ne rappelle cette maxime tranchante : Hors de la foi point de vérité.

Je ne puis assez insister sur cette distinction, elle est capitale. Dire que la science humaine est variable, sujette à l’erreur comme l’homme même, et dire sans restriction qu’elle est incapable de certitude, qu’elle prend mensongèrement le nom de science, et ne conduit légitimement qu’au doute et à l’ignorance, c’est dire deux choses fort différentes. La première thèse est l’expression d’un fait, d’un fait général, universel, qui doit toujours être présent à l’esprit du philosophe comme du théologien, du chrétien comme de l’incrédule, et dont la pensée doit nous inspirer une salutaire défiance de nous-mêmes. La seconde thèse est celle même du scepticisme, thèse absolue, qui détruit toute science, sciences sacrées, sciences profanes, et c’est là ce qu’en général aucune bonne théologie, y compris la théologie scolastique, n’a soutenu. C’était une thèse de désespoir dans Pascal ; c’est, je le crains, une thèse d’esprit de parti chez les écrivains de l’école actuelle. Ces opinions extrêmes ne deviennent communes que dans les temps de troubles, comme toutes les opinions extrêmes. Provoquée par l’incrédulité absolue, la foi absolue croit par là se mieux défendre. C’est la tyrannie qui succède, comme une réaction naturelle, à l’anarchie ; mais ce sont là, de part et d’autre, des excès de la raison humaine, et nous voudrions que le père Ventura s’en fût plus sévèrement préservé. Nous le reconnaissons, il ne s’y jette pas aveuglément ; mais il n’a pas évité l’écueil, et le sectateur