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ADELINE PROTAT.

avant l’époque du départ. Je vous l’amènerai une ou deux fois par semaine, ou vous viendrez la voir à Moret. De cette façon, elle et vous trouverez déjà moins cruelle cette séparation quand le moment en sera arrivé.

— C’est juste, dit le médecin : un enfant de cet âge n’a pas ordinairement de volonté ; mais la précaution est bonne à prendre. — Et d’un regard il sollicita l’avis du curé, qui acquiesça par une inclination de tête.

— Mais il faudrait au moins que j’aie le temps de préparer ses petites affaires, dit le sabotier.

— Que cela ne vous inquiète pas, interrompit la marquise ; Adeline a prêté une fois ses vêtemens à ma fille, ma fille lui prêtera les siens. À compter d’aujourd’hui, ajouta-t-elle en pressant les deux enfans entre ses bras et en les flattant d’une même caresse, elles sont sœurs.

Sans rien comprendre à tout ce qui se passait autour d’elle et à cause d’elle, la petite Adeline se laissa emmener par la marquise. Quand elle fut dans sa voiture, elle brisa le cœur de son père par l’impatience qu’elle témoignait à voir rouler le brillant équipage. Lorsqu’il eut disparu à ses yeux, Protat resta longtemps devant sa porte avant d’oser rentrer dans sa maison.

Un mois après, Adeline partait pour la Provence.

Avant son départ, son père était allé la voir cinq ou six fois à Moret ; chacune de ses visites lui avait rendu plus visible le sentiment d’indifférence avec lequel Adeline avait quitté la maison paternelle. Le changement de lieux, qui plaît communément aux enfans, l’aspect de mille choses nouvelles dont la jouissance lui était permise, le luxe qui l’entourait, la recherche de ses vêtemens, qu’elle portait avec une coquetterie enfantine, avaient cependant déjà modifié ce qu’il y avait de taciturne dans son caractère ; le besoin de caresses, qu’un poète appelle le pain de l’enfance, — besoin qu’elle avait dû refouler en elle, quand elle était chez son père, — trouvait à se satisfaire amplement dans cette maison, où, recueillie d’abord par reconnaissance, elle ne tarda pas à se faire aimer pour elle-même. Quand son père lui disait qu’on allait l’emmener bien loin et qu’elle resterait longtemps sans le voir, la petite demeurait pensive et ne répondait pas. Protat s’affligeait alors de ce silence, car il ne comprenait point qu’un enfant ne put pas avoir le sentiment exact des distances et du temps. — Apprenez-lui à ne pas m’oublier, dit-il à la marquise le jour où il alla dire adieu à sa fille.

— Je la ferai vivre pour vous aimer comme la plus tendre des filles, répondit Mme de Bellerie, qui avait déjà remarqué l’espèce de réserve que la petite Adeline gardait en face de son père.

Dans les premiers temps qui suivirent le départ de sa fille, le cha-