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ADELINE PROTAT.

du bon sens et l’habitude d’en faire usage à la satisfaction des autres et à la sienne, répondit le père Protat avec un peu de dépit. Aussi je comprends, par exemple, que vous êtes un bon jeune homme qui vous intéressez au sort de ce petit drôle et que vous tâchez de le blanchir de ses défauts, qui deviendront des vices. Je comprends que vous voulez profiter de ce que vous êtes ici pour lui faire de la morale, et lui expliquer qu’il me vole toutes les bouchées de pain qu’il mange ; mais je ne crois pas que lui veuille vous comprendre. Et, comme s’il avait deviné vos intentions à son égard, voilà qu’il détale comme un lièvre forcé.

— Il est vrai que, loin de me faire accueil, comme je m’y attendais, dit Lazare, ma présence a paru l’effaroucher. Il y a sans doute dans sa fuite un motif qui se rattache au secret dont je vous parlais, et c’est aussi probablement ce même secret qui exerce une influence mystérieuse sur son caractère et ses façons d’agir. D’ailleurs sa disparition n’est qu’une boutade, il ne doit pas être loin, et si tard qu’il revienne, il reviendra toujours.

— Assurément qu’il reviendra ! dit le sabotier. Il reviendra dès qu’il sentira l’odeur de la soupe.

— Eh bien ! reprit l’artiste, dès qu’il sera revenu, je le prendrai à part, et je saurai bien découvrir pourquoi mon arrivée l’a mis en fuite.

— J’ai peur que vous n’en tiriez rien, dit Protat. Zéphyr restera muet comme un poisson. Quand il s’est mis dans la tête de ne pas répondre, il se laisserait tuer sur la place plutôt que de desserrer les dents, même pour dire un mensonge.

— Il n’est pas menteur en effet, j’ai eu occasion de le remarquer, fit Lazare. L’absence de ce défaut-là excuse l’absence de bien des qualités. C’est un bon signe que la franchise. Un enfant qui ne ment pas deviendra difficilement un malhonnête homme. C’est chose si facile et si tôt faite de dire autrement que l’on n’a pensé ou agi, — quand la vérité peut nuire. — Si Zéphyr était menteur, combien de fois aurait-il pu, quand il avait mal fait, trouver des excuses qui l’eussent mis à l’abri de vos corrections ! En préférant ne pas s’y soustraire, il faisait preuve de courage en même temps qu’il se rendait justice. Eh bien ! ma foi, c’est encore là une qualité.

— Mais, monsieur Lazare, s’écria le sabotier, vous me surprenez beaucoup en vérité ; si je vous laissais aller, avant un quart d’heure vous m’auriez persuadé que ce petit gueux-là est un modèle de toutes les vertus.

— Je ne vais pas si loin, fit l’artiste, je constate celles qu’il possède, voilà tout. Je vous demande de ne point abandonner ce garçon avant mon départ. Je crois qu’à cette époque et même avant, vous aurez remarqué du changement dans sa personne. Si vous m’accor-